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politiques, d’ambitions. Elles appartiennent, du moins, à un même ordre de civilisation ; elles représentent ou elles devraient représenter, elles ont à défendre les mêmes intérêts, l’ascendant occidental dès qu’elles sont au loin, à l’autre bout du monde, dans ces régions de l’extrême Orient où les Européens sans distinction, les étrangers de toute nationalité, sont traités en ennemis. Ce qui se passe depuis quelque temps en Chine semblerait certes fait pour raviver dans les pays du vieil Occident ce sentiment de solidarité. Il n’est pas douteux que dans ce lointain, dans ce vaste et mystérieux empire, peuplé de 300 millions d’hommes d’une origine, d’un esprit si différent, il y a des choses étranges auxquelles l’ancien monde ne peut rester insensible. On ne peut pas les savoir d’une manière complète et précise par les nouvelles décousues et obscures qui arrivent ; on sait seulement que dans les provinces les plus éloignées les unes des autres, au nord et au sud de l’empire, dans la Mandchourie, la Mongolie, comme dans d’autres régions, les séditions, les pillages, les massacres, se succèdent et se multiplient. Depuis quelques mois, cette agitation chinoise paraissait s’être un peu apaisée, on le disait du moins. Elle vient de se ranimer avec plus de violence que jamais et de se manifester par de nouvelles scènes de meurtre et de dévastation. Il est possible que, sur quelques points, les révoltes préparées dans les sociétés secrètes aient un caractère politique, qu’elles soient plus ou moins menaçantes pour l’empire, pour la dynastie qui règne à Pékin. Le plus clair est que ce soulèvement qui agite la Chine se traduit d’abord par le pillage et la destruction des missions, des chrétientés, par le massacre des Européens. Il y a eu, depuis quelque temps, des victimes sans nombre de toute nationalité : Belges, Français, Allemands, Anglais et même des Américains. Au fond, c’est surtout un mouvement dirigé contre les étrangers, dont le fanatisme de race poursuit l’expulsion par le fer et le feu. Or, c’est là justement ce qui est fait pour appeler la vigilance, pour provoquer au besoin l’intervention des puissances de l’Europe, et c’est là aussi la difficulté parce qu’on a affaire à un gouvernement qui sait bien réprimer les mouvemens qui le menacent lui-même, mais qui est beaucoup plus indulgent pour les violences qui ne menacent que les étrangers.

Assurer la protection de ses nationaux en Chine, c’est pour l’Europe un devoir difficile et pourtant nécessaire. Sans doute, pour des cabinets souvent divisés sur notre vieux continent, il n’est point aisé de se retrouver d’intelligence à l’extrémité du monde, de combiner leurs efforts diplomatiques et au besoin militaires pour une défense commune. Il n’est pas facile de pénétrer dans ce vaste empire, de faire sentir le poids de l’ascendant occidental à un gouvernement rusé et subtil qui se dérobe, se réfugie dans une résistance passive, et sait profiter des divisions de la politique du vieux monde. C’est pourtant