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d’abord à sa suite par les rues de New-York et de Boston, il a suffi à M. de Rousiers de nous conduire au milieu des réserves indiennes, en plein Oklahoma, pour nous donner, avec celle de la civilisation naissante, la sensation d’une Amérique à peu près inconnue. « La meilleure façon de mettre en lumière la vie américaine, nous dit M. Paul de Rousiers, c’est de décrire d’abord ce Far-west, où elle se montre aux prises avec toutes les difficultés d’une nature inculte, où elle profite aussi de toutes les ressources d’une nature vierge… C’est dans les contrées de l’ouest que se manifestent avec le plus d’énergie les qualités et les défauts de ce peuple extraordinaire ; c’est là qu’on peut mieux prendre sur le fait les causes qui ont produit son développement rapide ; c’est là qu’on voit agir les élémens qui ont fait l’Amérique ce qu’elle est ; c’est là, par conséquent, que se trouve la clef de tout le système social. » Conformément à ce plan, M. de Rousiers nous raconte « comment on ouvre un territoire ; » il nous décrit les « ranches du Nebraska ; » les grandes « villes de viande, » Chicago et Kansas-City ; les grandes fermes, la petite culture, les petites villes, les grandes villes de l’ouest ; les villes de blé, comme on les appelle encore là-bas, Saint-Louis, Saint-Paul, Minneapolis ; et c’est alors, mais alors seulement qu’ayant ainsi montré la base physique de la vie américaine, si l’on peut ainsi dire, il traite successivement la question industrielle, la question ouvrière, la question politique, pour terminer par un chapitre du plus grand intérêt sur la « situation religieuse aux États-Unis. » Et, pour notre part, nous n’éprouvons pas, nous ne saurions éprouver pour la vie américaine l’évidente admiration qu’elle inspire à M. Paul de Rousiers. Nous ne saurions surtout avec lui voir la « morale » naître du milieu même de cet effort fiévreux et continu vers l’argent, qui semble être celui de tous les Américains ; — ou du moins il faudrait s’expliquer sur le sens que l’on entend donner à ce mot de morale. Mais ce n’est pas là le point, et dans ces quelques lignes, il nous suffira qu’on ait entrevu l’intérêt et, comme nous disions, la nouveauté du livre de M. de Rousiers.

L’histoire de la Charité en France, telle que nous la retrace Mme de Witt dans un beau livre, illustré de quatre-vingt-une gravures[1], en nous apprenant ce qui manque à la « vie américaine, » pourrait nous servir ici de transition, si nous cherchions du moins à en mettre quelqu’une dans ces notes. Mais il faudrait expliquer ce mot de « charité » comme celui de « morale ; » il faudrait montrer que les « institutions de bienfaisance » n’en épuisent pas la notion ; il faudrait faire voir que ces mêmes institutions, en tendant à la rendre collective et impersonnelle, ne vont peut-être à rien moins qu’à la détruire dans les cœurs… et

  1. 1 vol. in-4o ; Hachette.