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étroitement entre elles, — ont tiré déjà de profit, ce qu’elles doivent aux explorateurs du continent noir. Dans les deux volumes du capitaine Binger, les détails de cette nature abondent. Nous voudrions que quelqu’un les y reprît, les joignît à tant d’autres, épars un peu partout, les ordonnât, les discutât et se proposât enfin la tâche, qui serait laborieuse, mais qui ne serait pas sans gloire, d’en former un ensemble et un tout. N’est-ce pas, dira-t-on, ce que M. Elisée Reclus a fait dans sa belle Géographie de l’Afrique ? Assurément, mais nous voudrions quelque chose d’autre, où la description des lieux occupât moins de place, où l’on mît surtout en lumière ce que la connaissance des races de l’Afrique nous apprend sur les origines de la civilisation, sur l’évolution des langues et des religions, sur la psychologie enfin de l’humanité primitive.

Le livre de M. Gaetano Casati n’y serait pas d’un médiocre secours, si l’on fait attention que l’auteur, ancien officier de l’armée italienne, parti de Gênes au mois de septembre 1879, et de Souakim au mois de janvier 1880, était encore à Bagamoyo au mois de décembre 1889. Cela fait bien dix ans de séjour et d’aventures en Équatoria, pendant lesquels il s’est trouvé presque constamment mêlé de sa personne, selon l’expression de son traducteur, à « de tragiques et retentissans événemens. » Gordon, Stanley, Emin-Pacha, tiennent en effet, dans ce livre une place considérable. Mais que veut dire M. de Hessem quand il ajoute qu’on n’y trouvera point les « émotions multiples des relations habituelles de voyages, » et comment l’entend-il en nous parlant de son importance « au point de vue de l’histoire, de la géographie et de l’ethnographie ? » La psychologie du lecteur de relations de voyages a changé, elle aussi, depuis tantôt vingt-cinq ans, et ce que nous attendons des explorateurs, c’est justement ce qu’il y a dans le livre de M. Gaetano Casati. Il ne s’agit plus aujourd’hui de chasses à l’éléphant, ni des danses de l’Ounioro : on demande quelque chose de plus vu, si je puis ainsi dire, de moins superficiel, de moins pittoresque si l’on veut, en un sens, mais de plus instructif.

C’est le mérite encore du livre de M. Paul de Rousiers sur la Vie américaine, ouvrage illustré d’une héliogravure, de dix-sept cartes ou plans, et de trois cent vingt gravures[1]. Nous n’avons pu que le parcourir, mais nous serions bien trompés si ceux qui le liront moins rapidement n’y trouvaient pas, —dirons-nous une Amérique nouvelle ? — mais à coup sûr une Amérique assez différente de celles qu’ils croient connaître. La disposition y est de quelque chose, et tel est en tout le pouvoir de l’ordre, qu’au lieu de nous promener

  1. 1 vol. in-4o ; Firmin-Didot.