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assez dédaigneusement. Ses revenus sont faibles, elle aime le confortable et possède l’instinct de calcul qui manque au prolétaire. C’est elle qui a prêté l’oreille aux conseils qu’on lui donnait. Les condamnés du Queen’s Bench ne négligèrent rien, du reste, pour entretenir l’agitation. Plus de deux cent mille exemplaires du livre de Mme Besant avaient été rapidement enlevés : ils lancèrent alors le manifeste de la ligue malthusienne. Le président en était le docteur Drysdale, qui est, jusqu’à ce jour, demeuré à sa tête. En même temps apparut une revue mensuelle dont le but était de répandre les doctrines de Malthus, « le divin protestant. » Ce journal imprima d’innombrables petits traités économiques, coûtant un sou, deux sous au plus. Employant les procédés de réclame religieuse des sociétés bibliques anglaises, il fit même distribuer dans la rue de courtes brochures, des extraits de Stuart Mill faisant l’éloge des petites familles, le Devoir des parent, du docteur Drysdale, et un petit traité intitulé : De la prospérité du paysan français, par Matthew Arnold. Dernièrement encore, lors du voyage de l’empereur d’Allemagne en Angleterre, le programme officiel de sa visite au Guild Hall contenait une réclame de la ligue pour la Loi de la population et même certains avis d’un caractère plus significatif. La revue reçut une foule de lettres très curieuses. Un quaker, qui semble sincère, lui écrivit pour lui donner son approbation. « Si un jeune homme pauvre, dit-il, au prix de rudes combats, s’est conservé pur jusqu’à vingt-cinq ans, et qu’il connaisse une jeune fille qui lui plaise, mais qui n’a aucune fortune, il pensera : « Si je l’épouse, elle aura six ou même douze enfans. Cette belle femme, la maternité et la misère la flétriront. Voilà qui n’est pas bon. Je ne me marierai point avec elle. » Mais, dès ce moment, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il cessera de mener une vie honnête. »

On le voit par cette lettre, c’est la bourgeoisie, la classe raisonnable, éclairée, qui prétend avoir des mœurs et de la tenue, celle qui a fait précisément à l’Angleterre son renom de décence, qui a compris les instructions du docteur Drysdale. Quant aux classes pauvres, elles sont plus difficiles à ébranler, mais les petits traités continuent à s’éparpiller dans les rues des grandes villes manufacturières. Certains conseillent à la fois les deux sortes de tempérance : Ne pas boire et ne pas avoir plus d’enfans qu’on n’en peut nourrir, tel est le devoir du sage. D’autres, écrits sur le modèle des livres moraux des écoles du dimanche, vous content l’histoire du mauvais citoyen qui osa commettre une famille nombreuse, et dont tous les enfans ont été pendus, condamnés aux travaux forcés ou mis au work-house, tandis que son voisin, un homme