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Le prince arriva le 12 octobre à Potsdam. Le roi, qui pensait mourir tout à l’heure, le reçut avec une émotion touchante ; il l’appelait petit Fritz, lui ouvrait son cœur et lui faisait des confidences politiques. Comme il était alors engagé dans le parti de l’Autriche, il regrettait les bénéfices qu’il aurait tirés d’une alliance avec la France. Il pestait contre son chien de ministère, qui l’avait mal conseillé, et contre l’empereur qui le traitait, lui, un vieil ami, comme un chiffon. Il conseillait à Frédéric d’exiler un tel, de faire pendre celui-ci et celui-là ; il s’habituait donc à l’idée de transmettre le pouvoir. Par momens, la vieille rancune remontant, il était pris de la peur que Frédéric ne fît un mauvais emploi de l’héritage paternel : « Si tu ne t’y prends pas bien, et que tout aille sens dessus dessous, je rirai de toi dans le tombeau. » Le prince était empressé autour du malade ; il s’ingéniait à trouver les moyens de le soulager et de lui procurer un lit commode. Le sentiment filial se réveillait en lui, comme le sentiment paternel dans le cœur du roi, et la mort semblait réconcilier ces deux êtres qui s’étaient fait tant de mal. La vue de son père qui avait deux aunes et quart d’enflure autour du ventre et les pieds ouverts, arrachait des larmes au prince, à qui les yeux sortaient de la tête, mais le roi l’ayant renvoyé à Ruppin, les larmes se séchèrent comme par enchantement. Frédéric se plaint à sa sœur de « cette invention qui a pris au roi, tandis qu’il est à l’agonie ; » il ajoute qu’il est touché jusqu’au fond de l’âme des souffrances de son père, mais qu’il se prépare de tout son possible à ce funeste événement.

En effet ; à un ami, qu’il a pris pour confident, il dit tout ce qu’il fera le premier moment après que le roi sera mort ; en quel endroit il se rendra d’abord ; quand il se fera prêter l’hommage ; s’il se fera couronner ; comment il réglera le deuil et la cour ; quelles nouvelles charges il introduira ; comment il traitera ses ministres dans les conférences, de quel ton il leur parlera et s’ils seront de ses parties de plaisir ; quel accueil il fera aux ministres étrangers, s’il leur donnera des audiences publiques, s’il les fera dîner avec lui ordinairement ou seulement les jours de fête ; si, aux jours de cérémonie, il dînera seul ; quelles gardes il entretiendra, comment il les nommera, habillera et paiera ; s’il gardera les colosses ; s’il continuera les levées en pays étrangers, quel règlement il fera dans l’armée et l’administration ; quels sont ses sentimens sur la justice et sur la religion ; en quel endroit il fera loger la reine et quelle subsistance il lui donnera ; ce qu’il fera de ses frères ; ce qu’il pense des favoris de son père et s’il leur destine un mauvais sort ; à quelles charges il élèvera certaines personnes, qui à présent n’y songent pas ; ce qu’il adviendra des