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Le vice-roi, on le comprend, était fort perplexe. Il s’enquérait à tout venant. « Je viens de voir, écrit-il au secrétaire d’État, l’évêque catholique romain, qui est un Français et habite ici depuis de longues années. Il déclare que le seul moyen efficace de pacifier le pays est de l’annexer complètement et que toute solution intermédiaire nous serait préjudiciable. J’ai cru bon de signaler une opinion aussi autorisée. » Finalement, l’annexion fut décidée. « Je suis convaincu, disait alors lord Dufferin, que l’annexion pure et simple, avec l’administration directe de la province par les fonctionnaires anglais, nous offre la meilleure chance d’assurer paix et sécurité à la fois à la Birmanie et à nos intérêts politiques et commerciaux. Cette décision, sans doute, entraîne pour nous des charges sérieuses et des responsabilités, et, pendant quelque temps, va nous causer bien des inquiétudes, nous imposer bien des dépenses. Mais aucun autre moyen ne nous reste ; et, au bout de cela, je ne doute pas que nous ne soyons indemnisés d’une période temporaire de trouble et d’ennui par l’accroissement de la sécurité dans nos districts de Basse-Birmanie et sur nos frontières de l’est, et par le développement du commerce et des ressources générales de la nouvelle province. »

Une fois la décision prise, la situation était nette. Elle ne comportait plus qu’une tâche unique ; à la vérité, cette tâche était difficile et délicate. On se trouvait maintenant lace à face avec la nation, c’est-à-dire, dans la circonstance, avec une multitude d’intérêts privés, isolés, distincts. Il n’était plus question de recourir ni à l’intrigue ni à la séduction. Pas de classe à s’attacher par des bienfaits, pas de caste à se concilier par des privilèges ; mais quelque chose de bien plus difficile à manier : la masse des sujets birmans. On ne pouvait se la concilier que par une administration juste, sage, progressiste.

Il était permis d’espérer que l’Inde, avec les moyens multiples dont elle dispose, serait à la hauteur de cette mission.


JOSEPH CHAILLEY-BERT.