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fondement, que l’ambassadeur de Chine a mis en avant. Cela étant, un État semi-protégé (semi-protected) peut-il être, avec quelque avantage pour nous, créé sur les frontières de l’empire ? Le principe de la protection, même dans ses formes les plus atténuées, implique des responsabilités hors de toute proportion avec les moyens que nous avons d’y faire face et conduit assez naturellement à mettre aux mains de celui que nous protégeons le pouvoir de nous engager, contre notre volonté, dans une guerre : il n’a pour cela qu’à provoquer ses voisins à des agressions que, justifiées ou non, nous serions forcés de repousser… Dans ces conditions, notre intervention arriverait un jour à être nécessaire, et il nous faudrait l’exercer dans les pires circonstances, le pouvoir militaire et les revenus du pays étant aux mains d’un chef également incapable d’administrer ces revenus et de discipliner ces troupes. Il y a plus ; ce personnage serait, selon toute probabilité, jaloux de notre intervention et se montrerait, juste au moment critique, déraisonnable, ingouvernable et peut-être déloyal[1]. Le pays n’est pas assez riche pour suffire, en sus des dépenses de la cour et de l’armée du roi, aux dépenses d’une armée anglaise ; et comme assurément nous ne voudrions pas défendre la frontière avec des hommes à notre solde, elle se trouverait exposée à toutes les éventualités que j’ai indiquées. »

Ces objections venant d’un homme à l’esprit juste et d’une grande expérience firent écarter l’idée d’un « état-tampon. » Mais l’état « tampon, » l’état « semi-protégé » n’est qu’une variété d’un type, en somme, très acceptable, et, dans cet ordre d’idées, une fois admis le principe d’une protection à imposer au royaume birman, qui forçait l’Angleterre à s’arrêter à mi-chemin ? Pourquoi s’en tenir à cette « semi-protection » dont parlait lord Dufferin ? Qu’est-ce qui empêcherait, au lieu d’un buffer-state, d’instituer un véritable protectorat, de maintenir et la dynastie régnante et les fonctionnaires indigènes en plaçant à côté d’eux un résident anglais chargé de contrôler et l’administration intérieure et les affaires étrangères ? Cette solution semblait convenir à merveille à la situation. Les Birmans, au moins beaucoup d’entre eux, souhaitaient garder la forme traditionnelle de leur gouvernement. Ceux que l’on consultait disaient presque unanimement qu’un « roi en titre, » un « roi de nom » (c’étaient leurs expressions) rencontrerait de la part de ses sujets une obéissance absolue. La reine et certains

  1. Lord Dalhousie avait coutume de dire que les traités qu’on fait avec des Orientaux sont une pure duperie, les Orientaux n’en retenant que ce qui leur confère des droits et sachant toujours obtenir l’exécution des clauses qui leur sont favorables.