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Au temps de la domination birmane, ces tribus n’avaient avec la cour d’Ava que des rapports assez lâches, variables avec les forces de cette cour, et ne reconnaissaient sa suzeraineté que dans la mesure où elle-même pouvait la faire reconnaître. Il en résultait qu’à mesure qu’on s’éloignait des frontières de la Birmanie centrale, les liens de suzeraineté se détendaient et que les droits prétendus des derniers Alompra n’avaient, dans beaucoup de cas, d’autre utilité que de fournir des prétextes à intervention.

Les Anglais n’eurent garde de faire valoir à la fois des droits si différens et si contestables. Déjà en Basse-Birmanie, aux tribus que les traités de 1826 et de 1852 leur avaient attribuées, ils avaient conservé la même situation quêteur faisait la cour d’Ava. Aux unes, comme les Louchai et les Chiendon, ils avaient laissé leur indépendance ; aux autres, comme les Bangi et les Pankho, ils imposaient leur suzeraineté sans lever d’impôts ; d’autres enfin, Mroung, Koumi, Mro, ils avaient fait de véritables tributaires. Ils agirent de même dans leur nouvelle conquête. Dans la Birmanie centrale et dans les provinces voisines, ils saisirent le gouvernement d’une main vigoureuse ; et encore même là eurent-ils soin de ménager les susceptibilités. Quand un chef, aux allures jusqu’alors indépendantes, semblait jouir dans son district d’une réelle autorité, ils affectaient de le traiter un peu comme un allié et lui fournissaient au besoin des troupes pour l’aider à y maintenir l’obéissance et l’ordre. Avec les provinces plus éloignées, comme, par exemple, ces États shans que disputent à la Birmanie le Siam, la Chine, d’autres encore[1], et qui, en fait, étaient alors presque tous autonomes, ils montrèrent plus de prudence encore. Avec l’un, on négociait pour faire accepter un résident anglais ; c’est ainsi que près du tsawbwa (nom du chef local) de Momeit, on envoya, à titre d’auxiliaire et de conseil, M. Colquhoun, avec ses troupes et sa police, chargé de l’aider à lutter contre les dacoits. A un autre on donnait, pour faire sa

  1. On trouve dans le livre du général Yule, en appendice, l’exposé des droits indiscutables de la Chine sur les États shans. Quant au Siam, d’après un rapport récent de M. Scott, surintendant des États shans, il revendique tous les États situés à l’est de la Salouen ; les Anglais, au contraire, prétendent, comme successeurs Jeu Birmans, à cinq de ces mêmes États. Il y a donc lieu à délimitation. Mais l’opération, commencée il y a deux ans et fréquemment interrompue, menace, pour beaucoup de raisons, d’être difficile. Aussi la presse anglaise locale estime qu’on pourrait s’en dispenser. Elle fait remarquer que cette question de limites entre la Birmanie et le Siam a déjà été tranchée, il y a plus de vingt uns, par une sentence de la Court of Recorder de Moulmein, confirmée par la Haute Cour de Calcutta. A propos d’intérêts privés, les juges ont eu à déterminer la limite des deux États, et les Anglais trouveraient commode de soumettre une nation étrangère aux décisions de leurs juges. En fait, le Siam a déjà consenti à évacuer ceux des États shans que les Anglais ont pu prouver avoir autrefois payé tribut à la Birmanie.