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mois qu’il fait connaître sa décision dans cette affaire passionnante. Il accepte la commutation de peine, mais refuse de faire grâce, et s’engage seulement à s’en occuper de nouveau quand cinq ans se seront écoulés[1].

À cette conduite déloyale, les Anglais ont gagné que même les cas de force majeure leur sont imputés à mauvaise foi. Dans les premiers temps de l’insurrection, on avait fait une foule innombrable de prisonniers. Les prisons étaient encombrées. On estime que soit en Birmanie, soit dans l’Inde, où on les avait transportés en masse, les Anglais détenaient près de 50,000 indigènes. Lord Dufferin mit un terme à cette épidémie d’arrestations ; bientôt même il rendit la liberté à la majorité des prisonniers. Pour les détourner d’aller retrouver leurs anciennes bandes, on leur promit du travail dans les chantiers de l’État, sur les routes, sur la voie ferrée en construction de Toungoo à Mandalay. Malheureusement, leur nombre même ne permettait pas de les employer tous : de là, un renom fâcheux, et cette fois immérité, pour la loyauté britannique et un retard évident pour la pacification. Il se passera longtemps avant que la masse du peuple soit rattachée.

On fut plus heureux du côté de ce que j’appellerais l’aristocratie : les prêtres bouddhistes, les membres du grand-conseil, les chefs les plus considérables furent l’objet de beaucoup de prévenances et d’égards.

Les ennemis des Anglais avaient répandu le bruit qu’ils en voulaient moins au roi Thibau et à sa dynastie qu’à la religion bouddhiste et à ses fidèles. L’accusation était grave. Dans ce pays, presque toute la nation a passé par l’école des prêtres ; chacun, au moins une fois dans sa vie, revêt l’habit du moine, et comme les vœux ne sont pas en fait perpétuels, la société civile est pleine de personnes ayant un moment porté le costume religieux. Attaquer la religion, c’était attaquer tout le monde. Pour dissiper les préventions, on usa envers les représentans de la religion des plus grands ménagemens. A l’heure où l’on marcha sur Mandalay, l’archevêque bouddhiste de la Basse-Birmanie fut reçu à Rangoon par sir Charles Bernard, alors commissaire en chef, qui lui donna l’assurance qu’à tout événement rien ne menaçait la religion bouddhiste. Au cours de la campagne et pendant la période de prise de possession du pays, les fonctionnaires et les officiers furent invités à respecter particulièrement les prêtres, les moines et les

  1. Le gouvernement de Birmanie a publié le texte de cette résolution. L’exposé des circonstances est un peu différent de celui que nous donnons ; toutefois nous persistons à croire le nôtre absolument exact, et s’il l’est, l’argument du gouvernement, que « seule une personne irresponsable peut conseiller une mesure de clémence, » n’a aucune valeur.