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exemple d’impartialité, eut en Birmanie un immense retentissement et provoqua les critiques de presque toute la presse locale : « Cela revient, concluait la Gazette de Rangoon, à autoriser tout indigène plus ou moins sauvage à tuer les fonctionnaires anglais toutes les fois qu’il les trouvera en train d’arrêter un quelconque de ses parens d’une façon qu’il estime illégale. »

Il y aurait à de telles craintes quelque fondement si un vainqueur était exposé à pécher par excès de partialité envers le vaincu. Malgré les exemples si honorables que je viens de citer, ce ne fut pas, ce ne pouvait pas être le cas des Anglais. Il faut bien le dire, le culte presque exclusif de la justice qui les caractérise laisse souvent place à l’injustice. Car, à proprement parler, dans la justice, ce qu’aime l’Anglais, c’est moins l’équité que le droit. Il prétend, pour mettre en règle sa conscience, faire reconnaître son droit ; une fois ce droit constaté, il le poursuit jusqu’au bout. Or le droit du vainqueur, proclamé par le vainqueur même, risque d’être excessif. Le juge est un homme ; il est sujet à l’erreur et à la passion. Aussi, par cela seul qu’à leur droit strict les Anglais n’ont donné" d’autre limite que la justice et les sentences de la justice, ils ont commis des légèretés, des erreurs, des cruautés même, dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles nuisaient singulièrement à leur propre cause.

Assurément, quoiqu’on fût décidé à se concilier le pays à force de modération, il ne fallait pas attendre la pacification de ce qu’on a appelé le « contrat d’amour. » Une race, depuis des siècles pliée par ses rois au plus dur régime, n’est pas disposée à céder à la seule douceur : elle veut, pour se soumettre, des preuves de force et des exemples de répression vigoureuse. Mais il semble que les Anglais aient, pour mieux administrer ces preuves, dépassé toute mesure.

Je ne mentionne que pour mémoire certains procédés atroces. Un officier, par exemple, soupçonnant un indigène d’un crime capital et ne pouvant en obtenir l’aveu, faisait conduire le prétendu coupable jusque devant le peloton d’exécution et lui arrachait ainsi une confession mensongère. Un autre, amateur de scènes dramatiques, prenait une épreuve photographique du supplice que lui-même ordonnait. Ce sont là des exceptions révoltantes, et l’opinion publique les a condamnées. Mais ce qui était d’une pratique générale, c’était de fusiller sur l’heure et sans jugement tout dacoit pris les armes à la main. Mesure très simple, en vérité, mais qui n’avait pas même l’excuse de l’utilité : les Birmans, comme les Annamites, ne craignent pas la mort. Et les Anglais le savaient bien ; voici ce qu’a écrit un de leurs historiographes : « Un détachement de la brigade navale, ayant capturé une douzaine