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augmentait. Les bandes fusionnaient ; le chef le plus renommé prenait le commandement. Quelques-uns de ces chefs furent célèbres : par exemple, le Boshway, pris et tué en octobre 1887, et qui fut en quelque sorte le dernier des grands chefs. Ils exerçaient sur la population un invincible prestige. A leur appelles jeunes hommes accouraient en masses. L’ancienne famille royale exploitait cet enthousiasme. Presque en même temps, cinq ou six princes authentiques couraient la brousse. D’autre part, le premier venu, un ambitieux, prenait le nom d’un prince quelconque, et sans peine soulevait son district. C’est ce qui advint dans le district de Chindwin. Le Chief commissioner venait de le parcourir ; il y avait reçu l’accueil le plus favorable et le quittait sous la meilleure impression : survient un imposteur éhonté, le prétendu prince Bayingan, et le district se lance dans une insurrection ruineuse.

Tel est, esquissé à grands traits, le premier ordre de difficultés que, de 1885 à 1888, les Anglais rencontrèrent en Basse et surtout en Haute-Birmanie et qu’ils eurent d’abord à vaincre. Ils ne pouvaient songer à organiser le pays et à le mettre en valeur avant que la sécurité et la paix y fussent rétablies, et que les gens paisibles fussent libres de ne pas se révolter sans exposer leur vie ou leurs biens. A l’heure présente, l’œuvre n’est pas encore parfaite. Presque toute l’année 1889, la fin de 1890 et le commencement de 1891 ont vu plus de troubles et d’expéditions qu’on n’eût pu le supposer en 1888. De telles entreprises ne s’achèvent pas en un jour, et d’ailleurs, plus d’une fois les Anglais ont, par des fautes de conduite, dont nous citerons plus loin des exemples, compromis des résultats acquis. Néanmoins d’importans progrès ont été réalisés, et il est intéressant et utile de voir par quels procédés et suivant quelles méthodes.

Mais avant d’en aborder le détail, il importe de se souvenir que les Anglais allaient, dans l’accomplissement de leur tâche, rencontrer des facilités exceptionnelles. La Basse-Birmanie était déjà, depuis soixante ans pour certaines parties, depuis trente ans pour d’autres, possession anglaise, et organisée suivant les principes de l’administration indienne. C’était le même commissaire qui avait sous son autorité les deux fractions de la province : il pouvait disposer pour la nouvelle de toutes les ressources de l’ancienne[1]. La Birmanie d’ailleurs était une province, comme le commissaire était un agent, non pas de l’Angleterre, mais de l’Inde. Et l’Inde était là toute proche, riche en ressources, en troupes, en

  1. Cela n’a pas empêché bien des défectuosités dans l’exécution. Le service, notamment de l’intendance, du commencement à la fin, et jusqu’en mars 1891 (voir le Times, 14 mars), a prêté à des critiques qui paraissent justifiées.