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on la recruta, partie dans l’Inde et partie dans le pays : à maintes reprises, les policemen birmans ne purent résister au désir de « dacoiter » eux-mêmes les villages qu’ils devaient protéger.

Voilà, pour l’ordinaire, ce que sont les « dacoits » de Birmanie et les « pirates » du Tonkin. Quelquefois, sous l’influence de chefs plus distingués ou dans des circonstances particulièrement solennelles, ils s’élèvent du rôle de pillards au rôle de patriotes. Cela s’est produit dans l’Annam proprement dit. L’insurrection y prit presque immédiatement un caractère national ; conduits par les hauts mandarins, les pirates (car on tenait à leur maintenir ce nom) se proposaient avant tout de chasser les Français hors du sol national ; ce qui ne les empêchait pas, entre temps, de pressurer les populations sur leur passage. Il en advint de même en Birmanie. À une certaine époque, la résistance, qui n’était guère jusqu’alors qu’une entreprise de pillage, devint une œuvre politique et patriotique. Les dacoits se groupèrent en bandes importantes, conduites par des chefs considérés ; la lutte prit le caractère d’une guerre de guérilla ; la dacoity devint « un mouvement hostile de la population, » a une résistance populaire à la domination anglaise, telle qu’on n’en rencontra dans aucune autre partie de l’Inde et qui devait nécessiter pendant de longues années la présence de fortes garnisons[1]. »

Les dacoits, en effet, constituent un genre d’adversaires particulièrement, je ne dirai pas dangereux, mais gênant pour des troupes européennes. Rien de moins régulier, rien de plus insaisissable. Un district, par exemple, celui de Tavoy, administré à souhait et depuis deux ans fort tranquille, se soulève tout à coup, sans prétexte connu (février 1888). Un autre, où régnait une certaine fermentation, prend les armes et court sus aux Anglais : deux officiers sont tués. Une colonne, aux ordres d’un colonel (colonel Symons), accourt pour les venger : elle ne découvre pas les coupables ; elle ne trouve même pas une trace d’agitation ; pendant six semaines elle bat le pays inutilement et se relire sans avoir rien fait. On avait imaginé de constituer des bandes de 50 à 100 hommes, avec mission de poursuivre ou même de chercher les dacoits. Presque invariablement, recherches et poursuites étaient stériles. Les dacoits s’enfuyaient, coupaient au plus court, se réfugiaient ou dans des lieux inaccessibles, ou dans des villages peuplés d’amis : là, ils jetaient leurs armes, se mêlaient aux habitans, prenaient part à leurs travaux ; nul n’aurait pu les distinguer et nul ne se fût risqué à les trahir.

Quand les pluies cessaient, immédiatement le dacoitisme

  1. Charles Dilke, Problems of Greater Britain, II, 6.