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à accréditer des résidens, etc. Elle attendait son heure, et son apparente longanimité ne faisait illusion à personne. « Il est certain, dit un voyageur français, Sonnerat (Voyage aux Indes Orientales, 1774-1781), que les Anglais chercheront un jour à s’emparer du Pégou. »‘ Et en effet, dès que l’Europe leur laissa quelque répit, à la première incartade de cette royauté birmane qui a dépassé en orgueil et en folie toutes celles de l’Asie, et sous prétexte de donner au Bengale une frontière plus scientifique, elle abattit sur la proie dès longtemps guettée sa main puissante. Sans parler de divers avantages qu’elle obtint, elle se fit céder les provinces d’Aracan, de Yeh, de Tavoy, de Mergui, de Tenasserim, s’établissant ainsi, avec cette habileté et cette prévoyance dont elle a donné tant de preuves, du premier coup sur deux points d’une importance capitale, et fermant deux des avenues qui pouvaient conduire vers l’Inde ou vers la Chine (expédition de 1825, traité de Yandabo, 24 février 1826).

Cela la mit en appétit. Plus tard, après un délai jugé suffisant, et comme l’imprudente cour d’Ava, au mépris du traité signé, continuait ses bravades et ses vexations, une nouvelle expédition lui enleva le reste de ses provinces du sud, la sépara définitivement de la mer et reporta sa frontière méridionale au-dessus du 19e degré de latitude nord (expédition commencée en janvier 1852 ; annexion proclamée le 20 décembre de la même année).

De ce moment, le royaume d’Ava ne pouvait plus échapper à cette formidable étreinte. Sa nouvelle frontière, simple ligne tirée sur le papier, ne pouvait plus le protéger : il était à la merci de l’ennemi. L’Angleterre, tout en continuant à se défendre de toute idée de conquête, n’attendait qu’une occasion. Nul n’en doutait. En 1880, un colonel de l’armée anglaise, M. W.-F.-B. Laurie, auteur de Our Burmese Wars, écrivait : « Il se peut qu’avant longtemps, il n’y ait plus de roi de Birmanie. » Une fausse démarche de ce roi le livra enfin à ses ennemis. Depuis quelques années, il voyait le danger grandir, et, comme son ancêtre du siècle dernier, cherchait partout non plus même des alliés, mais des protecteurs. Cette attitude suspecte inquiétait l’Angleterre. Il avait envoyé en France et en Italie une ambassade : cette ambassade négligea de se rendre à Londres. Il signa avec la France un traité purement de commerce et d’amitié : on voulut y voir un traité d’alliance. Un agent français fut installé dans la nouvelle capitale : on s’écria qu’il allait diriger la politique du royaume. Dès ce moment la conquête fut décidée. Le fruit d’ailleurs était mûr ; il n’y avait même pas à le cueillir : il tombait. Depuis longtemps déjà, les Anglais de Basse-Birmanie, notamment la chambre de commerce de Rangoon, faisaient près du gouvernement anglais les plus vives instances pour