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négligeant les occasions propices, perdant des parties superbes, et se laissant si bien distancer que, dans cette Indo-Chine qui lui semblait presque tout entière dévolue, il est à peine temps pour elle de se réserver une part légitime en procédant à une délimitation des influences respectives. Ce travail, non plus, ne manquerait pas d’intérêt et pourrait emprunter une épigraphe à une fable également célèbre : le Lièvre et la Tortue.

Mais, outre que tout cela a été fait, ou à peu près[1], ce n’est pas cela, c’est autre chose que nous cherchons. Nous voulons, en vue d’une comparaison qui s’impose entre la Birmanie, qui est à l’Angleterre, et la partie de l’Indo-Chine qui est à la France, rechercher quelle a été la conduite des Anglais dans leur nouvelle possession, et comment, au milieu de difficultés et en face de besoins qui sont presque les mêmes dans les deux pays, ils ont su, — non pas en mener à bien, trop peu de temps encore s’est écoulé, — mais en préparer la pacification, l’organisation administrative et l’exploitation économique.


II

La Birmanie, encore aujourd’hui, n’est qu’imparfaitement connue. Sa population est évaluée à environ 8 millions d’habitans, 3 millions et demi dans la Basse-Birmanie et 3 millions et demi dans la Birmanie supérieure ; mais ce chiffre est des plus incertains, cela pour deux raisons : la première est que, pour de nombreux districts, il repose sur les bases d’estimation les plus vagues, — consommation du pétrole, rendement de l’impôt foncier ; — la seconde, c’est qu’en dépit de la mer et des montagnes qui lui font des frontières naturelles, les limites de la Birmanie ne sont pas encore exactement fixées. La conquête les a souvent déplacées[2]. Telle que l’ont faite les événemens de 1885, la Birmanie, sans

  1. Sur les trois ordres d’idées indiqués au texte, on trouvera les renseignemens les plus complets dans les trois ouvrages suivans : 1° A narrative of the mission sent by the governor general of India to the court of Ava, in 1855, by Captain Henry Yule, 1 vol. in-4o. Londres, 1858. Ouvrage plein d’informations sur la géographie de la Haute-Birmanie, l’histoire et l’organisation de l’ancien royaume d’Ava ; l’éloge n’en est plus à faire, son auteur ayant très justement conquis une réputation universelle ; 2° The British Burma Gazetteer, travail dû à l’administration anglaise de Basse-Birmanie et qui contient tous les renseignemens désirables sur l’histoire, la géographie, l’histoire naturelle, l’organisation administrative de cette province, 2 vol. in-8o. Rangoon, 1880 ; 3° la Chute des Allompra ou la fin du royaume d’Ava, dont la pensée est suffisamment indiquée par ce sous-titre : « Extrait d’un ouvrage sous presse, la France et l’Angleterre dans l’Indo-Chine, » 1 vol. in-8 ». Paris, 1890 ; Challamel.
  2. On trouve dans le remarquable ouvrage, cité plus haut, du capitaine (mort général) Yule, p. 263, quatre cartes montrant la grandeur et la décadence de la domination birmane de 1500 à 1852.