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pays ou à reconnaître ce que cette race et ce pays ont dû à l’éducation et à la culture venues de l’étranger ? Pour la France, le patriotisme consiste surtout, je crois, à l’admirer dans le riche développement artistique et littéraire qui commence avec le XVIe siècle et se continue encore ; le dédain de cette période et le regret de celle qui l’a précédée méconnaissent l’histoire de notre pays ; ils diminuent ses plus beaux titres. Le moyen âge a, du reste, assez de grandeur et de beauté dans le domaine de l’action, et nous y trouvons assez à admirer, pour qu’il soit inutile de lui reconnaître par surcroît une valeur littéraire qui lui a manqué et d’intéresser notre amour de la France à diminuer ce qu’elle eut dans des temps voisins de nous pour lui attribuer ce qu’elle n’eut pas dans des temps plus reculés.

Âge classique du théâtre, le xvir9 siècle ignora tranquillement et complètement le drame et la comédie du moyen âge, et c’est parce qu’il les ignorait qu’il ne leur emprunta rien. Ses modèles turent, avec le théâtre grec et latin, le théâtre italien et espagnol ; ils lui donnèrent les formes qui lui manquaient et il perfectionna si bien ces formes qu’il les fit siennes. Au moyen âge, il n’emprunta que son esprit de satire et de raillerie, ou plutôt cet esprit était celui de la nation française, qui, toujours semblable à lui-même, devait durer et se retrouver. Cet esprit balbutiait des puérilités durant son enfance ; il parla net et ferme, lorsqu’il eut grandi et atteint la maturité. Là se bornent les analogies que l’on croit saisir entre les deux époques. Dans tout le reste, il n’y a que rencontre, il n’y a pas imitation volontaire, et lorsque, dans George Dandin, on est tenté de voir un souvenir de George Le Vau, dans la Beline du Malade imaginaire une reprise de la Cornette, dans Thomas Diafoirus une imitation de maître Mimin, c’est aller trop loin : les mêmes ridicules, les mêmes vices, les mêmes travers se sont retrouvés, à plusieurs siècles de distance, comme inhérens à la nature humaine et constituant toujours le domaine de l’auteur comique ; le dernier venu, les rencontrant sur son chemin, se les est appropriés ; mais, jusqu’à preuve du contraire, il est permis de croire que, s’il a suivi en les traitant l’exemple de ses lointains devanciers, ç’a été à son insu. Il y a eu, dans d’autres genres que le théâtre, des écrivains du XVIe et du XVIIe siècle qui, par une reprise plus ou moins volontaire et consciente des mêmes sujets, mais, en somme, reconnaissable, s’inspiraient du même esprit que le moyen âge, ainsi Marot et La Fontaine ; mais on ne saurait souhaiter exemple plus probant pour montrer par leur comparaison tout ce que cet esprit avait à faire pour s’élever à la dignité littéraire. Ce qui a passé du moyen âge dans la littérature du