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d’un but déterminé ; ils ne sauraient être jetés dans une complication d’aventures, car ils manquent d’activité propre ; ils n’ont ni âge, ni sexe, ni humeur, ni fortune, ni d’autre condition que celle de leur titre et de leur costume : introduisez ces élémens dans une comédie et la comédie disparaît.

« La farce, continue M. Petit de Julleville, est devenue la petite comédie en un acte, preste, vive, amusante ; cadre restreint, mais commode, où Molière a peint ses Précieuses et sa Comtesse d’Escarbagnas. » Au premier abord, ceci paraît plus acceptable. Je ne crois pas cependant qu’à y regarder de près l’assimilation subsiste. La farce du moyen âge, fort pauvre de fonds, avec cinq ou six sujets auxquels elle revient toujours, est une petite pièce rapide et libre, comme aussi la farce du XVIIe siècle, mais là s’arrête la ressemblance entre les deux genres. Il manque, en effet, dans la première, ce qui est la loi générale du théâtre classique, c’est-à-dire une intrigue et une action marchant vers un dénoûment. Les farces sont de simples anecdotes, des faits de la vie courante, des aventures plaisantes, des scènes de ménage ou de carrefour traduites sur la scène par le dialogue ; les comédies classiques en un acte sont des sujets dramatiques, c’est-à-dire une combinaison d’événemens imaginés et présentés dans des conditions particulières d’invention, de personnages, de développement et de terminaison. Si le nom de la farce s’est conservé pour ce genre de comédie, c’est que, au temps de Molière, on jouait encore des farces à l’hôtel de Bourgogne, et que le public, trouvant dans les comédies nouvelles la même gaîté et la même liberté que dans ces farces, appelait d’un même nom les deux genres, celui qui achevait de mourir et celui qui venait de naître. Mais, aujourd’hui que nous n’avons plus les mêmes raisons de nous abuser, comparons les Précieuses ridicules ou la Comtesse d’Escurbagnas à la meilleure des farces du moyen âge, Maître Patelin, ou à l’une des plus amusantes, le Cuvier. Combien peu d’analogies ! Il n’y en a guère qu’une : c’est que ces quatre pièces sont courtes et gaies. Pour le reste, tout est changé : l’action de Patelin raconte, en vers, comment un avocat dupa un drapier et fut dupé à son tour par un berger ; celle du Cuvier, en vers également, comment le mari d’une méchante femme en vint à bout ; Molière raconte, en prose, l’aventure de deux « pecques » abusées par le jargon à la mode et celle d’une dame de province qui voulait singer le bel air. Ainsi le champ de l’observation s’est agrandi et déplacé : là une simple anecdote, ici une peinture de mœurs. Dans les deux farces, pas d’autre intérêt que celui du dialogue ; dans les deux comédies, le triple intérêt du sujet, des caractères et du dénoûment. Et si l’on