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premiers essais, sinon les premiers modèles de la grande comédie en France. Mais il est d’autant plus difficile de partager cette opinion qu’elle s’appuie sur des analyses exactes et détaillées, qui sont chacune autant de preuves à l’appui de l’opinion contraire. Par là, M. Petit de Julleville nous conduit à cette conclusion que, les sujets étant les mêmes, parce qu’ils ne pouvaient pas être différens, et la comédie puisant autrefois, comme aujourd’hui, dans le fonds de nos vices et de nos travers, la comédie classique n’a laissé des œuvres intéressantes et durables que parce qu’elle traitait ces sujets et exploitait ce fonds tout autrement que la comédie du moyen âge. Ce que le moyen âge se contentait d’apercevoir et indiquer d’un trait vague et mou, l’époque suivante l’a profondément étudié et reproduit avec vigueur ; où il s’appesantissait, elle passait ; où il ne s’arrêtait pas, elle insistait longuement ; mais surtout, où il ne savait ni inventer, ni combiner, répétant à l’infini des types élémentaires, elle a créé des formes et des genres, avec leurs règles nécessaires, et se développant avec une force personnelle et durable de vie et de fécondité ; c’est-à-dire qu’elle a fait œuvre littéraire.


III

Mais c’est justement ici et sur le sens de ce mot « littéraire, » que porte le vif du débat. En effet, une opinion volontiers reprise par les historiens de la littérature française au moyen âge, pour en tirer un éloge de leur objet, c’est la spontanéité et l’absence de réflexion propres à cette littérature, en opposition avec l’artifice et les procédés voulus de l’époque classique. M. Petit de Julleville n’est pas, sur ce point, d’un autre avis que la majorité des médiévistes : « Nos farces, nos moralités, nos soties, dit-il, ne sont pas des œuvres littéraires. La comédie, au moyen âge, composée pour plaire au peuple, non pour plaire aux lettrés, s’est développée au hasard, sans nul souci de style et d’arrangement. » D’où l’absence de cette convention, chère aux époques classiques, la distinction des genres : « La distinction absolue des genres, ajoute-t-il, est une conception, je n’ose dire fausse, mais factice, qui n’appartient qu’aux époques de littérature polie et savante. » La Renaissance et le XVIIe siècle auraient donc fait perdre ces précieuses qualités à notre littérature dramatique ? M. P. de Julleville ne le dit pas expressément ; il regrette toutefois, en se défendant d’exprimer un regret, que la conception dramatique du moyen âge ait été