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plus et ne se survivent pas davantage. Soties, farces et moralités donnent une large place à la satire non de la foi, universellement respectée, mais de l’Église et de ses dignitaires avides, de ses curés licencieux, surtout de ses moines paresseux et gourmands. Ainsi dans la moralité de l’Église, Noblesse et Pauvreté qui font la lessive, dans les farces des Trois brus, des Pauvres diables et du Meunier. Elle raille les faux braves dans les farces de l’Aventureux, de Colin fils de Thenot le maire, du Franc archer de Bagnolet et du Franc archer de Cherré ; les chevaliers d’aventure dans le dialogue de Messieurs de Mallepaye et de Baillevent ; les gueux populaires, dans les farces du Pâté et de la Tarte, du Porteur d’eau ; les charlatans, dans le monologue de la Fille batelière ; les valets vicieux et facétieux, dans le monologue du Clerc de Taverne, et la parade de Maistre Mimin le Goutteux ; les avocats faméliques et les marchands peu scrupuleux, dans la Farce de maistre Patelin. Partout du très petit monde et de très petites gens ; on a justement remarqué que cette comédie ne donne, pour ainsi dire, aucune place aux classes élevées ou moyennes, et cette lacune n’est pas une des moindres causes de sa bassesse[1]. Dès le XVIe siècle, ces sujets disparaissent ou se transforment en s’élargissant. Ainsi, la satire contre les gens d’église ne produit plus guère que Tartufe, soit que fortement appuyée sur la royauté, qui s’appuie également sur elle, l’Église jouisse de la même immunité, commandée par le respect ou la crainte, soit que, par la réforme de sa discipline, elle ne prête plus aux mêmes attaques. Quant à Tartufe, c’est un chef-d’œuvre unique, auquel rien ne se peut comparer, à aucun point de vue, dans la littérature dramatique, jusqu’au Basile du Mariage de Figaro, autre exception, dont la hardiesse annonce des temps nouveaux ; et, tout au moins dans Tartufe, l’inspiration de la satire est non-seulement différente de ce qu’elle était au moyen âge, mais opposée : en effet, c’est moins aux vices des personnes qu’elle s’attaque, quoi qu’elle en dise ou en pense, qu’au dogme et à la morale. Pour les autres sujets, s’ils subsistent, c’est qu’ils sont le fond permanent et éternel de la comédie, comme de la nature humaine elle-même ; mais ils ne sont plus traités de la même manière ni au même point de vue. Le faux brave du XVIIe siècle, moitié Espagnol, moitié Français, n’a point le même genre de vantardise ou de peur, la même allure, le même langage que le franc archer ou le routier ; les chevaliers d’aventure sont devenus des chevaliers de cour ou d’antichambre

  1. Voir Ernest Renan, la Farce de Patelin, dans ses Essais de morale et de critique, 1859.