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habillé en homme d’église, Sot glorieux, habillé en gendarme, Sot corrompu, habillé en juge, Sot trompeur, habillé en marchand, Sot ignorant, qui ne vise expressément aucune condition, mais représente, bien entendu, la sottise ignorante, et Sotte-Folle qui personnifie les femmes. Ce n’est rien moins que la traduction sensible et complète d’une idée philosophique, qui avait donné naissance aux confréries de sots et à leurs pièces, savoir que la sottise mène le monde ; idée trop générale et insuffisamment justifiée, au moins comme preuves tirées des sujets, par cette part de notre ancien répertoire comique. L’ambition d’un tel sujet ne se justifie pas davantage ; les personnages ainsi dénommés agissent et parlent sans intérêt[1] ; ils multiplient les abstractions et les entités dont ils sont sortis eux-mêmes, bâtissant un nouvel édifice social avec les vices et les travers que chacun d’eux personnifie jusqu’à ce que ce Monde-Nouveau s’écroule sur leurs têtes et qu’ils disparaissent pour rentrer dans le sein de la Confusion, laissant au Vieux-Monde le soin de relever l’édifice primitif et de tout remettre en place. Je n’insisterai pas sur l’absence de vie, de mouvement, d’action, partant d’intérêt, qui est la même pour tous ces pâles fantômes ; avec eux rien ne monte sur le théâtre que la subtilité stérile et la puérilité d’esprit, qui sont les deux vices intellectuels du moyen âge. Remarquons seulement que l’inspiration d’où ils sortent disparaît aux siècles suivans ou ne s’y retrouve que transformée. D’abord, la conception des soties, trop générale à la fois et trop simple, sur la sottise fondamentale du monde, fait place à une notion plus réfléchie et plus variée de l’homme et de la vie. Scarron, Molière et Regnard exaltent la nature, chacun à sa manière, et montrent le ridicule de ceux qui veulent la contrarier ou l’altérer ; Le Sage, Marivaux, Beaumarchais s’attachent de préférence à quelque vice, comme la cupidité, aux complications ou aux déviations d’un sentiment naturel, comme la lutte de l’amour contre lui-même, à la satire générale de l’organisation sociale, comme celle de l’ancien régime finissant. Mais si le XVIIIe siècle a sa conception a priori de la nature humaine, comme la sienne est différente 1 Il n’y a de sots que les gens en place, selon Beaumarchais ; il considère ses contemporains et lui-même comme pleins de raison et capables d’exercer immédiatement tous les droits que cette qualité suppose.

Les pièces moins ambitieuses d’objet ne nous apprennent guère

  1. M. Petit de Julleville estime qu’ils lancent « cent traits acérés » contre la société du temps : je n’en vois pas un seul à relever dans ce qu’il cite, pas plus que dans ce que j’ai lu moi-même.