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LES DUPOURQUET.

tant, avait le bouchon au point de ressembler à du roussillon douteux qui se serait mêlé de vieillir.

Monseigneur était mécontent de sa cave, de son hôte et de lui-même ; il n’avait pas voulu se mettre en frais pour un si petit personnage, et de même que le vin lui laissait au palais une amertume, ce latin fantaisiste l’énervait, l’irritait, comme si, dans cette approbation obséquieuse, il eût démêlé un petit rire moqueur.

— Et celui-ci, monsieur le curé ? prenez bien votre temps, recueillez-vous, c’est du château-grézels 71. Ma réserve de derrière les fagots, entendez-vous ?

Le curé souleva son verre à deux mains, comme un calice, le renifla alternativement des deux narines en lui lançant de côté des œillades profondes ; puis il le porta à ses lèvres dévotement, les yeux clos, le visage ennobli par cette communion.

Il y eut un silence pendant lequel on n’entendit qu’un furieux rincement de bouche. Puis quand la gorgée eut rendu son bruit mat de pierre qui tombe dans un gouffre, les traits du dégustateur se détendirent, un large sourire très franc montra toutes ses dents dans l’épanouissement rouge de sa lippe, et d’une voix forte, cette fois, sans aucun souci d’étiquette :

— Ah ! celui-ci, monseigneur, bonum vinum !

Maintenant la tablée devenait bruyante. On parlait patois dans les coins ; cette langue étant à peu près pour tous plus familière et plus sonore, et les verres se heurtaient à chaque propos pour témoigner d’une cordialité grandissante à mesure que le vin chauffait les têtes. Les uns disaient en trinquant :

Anen ! à la bostro[1] !

Et ceux qui se piquaient de belles manières répondaient en français :

— Monsieur, je vous salue !

Celui qui servait choquait généralement de la bouteille, comme pour donner plus de poids à sa démonstration amicale, et après chaque lampée, le diapason des voix montait, devenait une cacophonie de cuivres claironnant des phrases baroques.

Un chanteur debout, avec des gestes gauches, disait les tristes amours d’une pastoure séduite, puis abandonnée par un fils de roi ; et cette simple histoire oppressait à l’entendre comme le récit d’une cruauté sans nom, d’une monstrueuse injustice ; on y parlait de prison, de tortures, d’échafaud. C’était comme une vision rouge des temps passés, quelque souvenir terrifiant gardé à travers les âges.

  1. Allons ! à la vôtre !