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LES DUPOURQUET.

Quant à Thérèse, elle ne les voyait même pas. Son attention se concentrait exclusivement sur ceux qui avaient droit d’accès auprès d’elle, sur ce triumvirat de prétendans qui se partageaient ses regards coulés en dessous et ses mièvres sourires.

Et même au milieu d’eux, aucun trouble ne lui venait. Son cœur battait paisiblement à coups réguliers, comme le balancier d’une horloge impeccable ; son imagination restait calme, ne voyant rien au-delà des œuvres de charité et des pratiques pieuses. Cette éducation de surface, cet esprit de pose qu’elle rapportait du couvent, avaient étouffé en elle les confuses rêveries, les velléités sentimentales qui passent comme un frisson sur l’eau dans l’âme inquiète des vierges.

Elle était sans tristesse comme sans désirs, d’une placidité de lemme bien portante pour qui la vie ne doit être qu’une longue série de bourgeoises satisfactions et de devoirs faciles.


XI.

Plusieurs fois, le soir en famille, on avait discuté d’un choix à faire, chacun émettant, longuement motivées, ses antipathies ou ses préférences.

Dupourquet tenait, en attendant mieux, pour le docteur Bosredon, dont la tignasse inspirée, les manières à la fois brusques et rassurantes et le jargon technique lui causaient une admiration craintive.

Pas beaucoup de fortune, à vrai dire, et aussi peu « d’espérances, » les Bosredon s’étant saignés aux quatre veines pour pousser leur fils dans les classes et faire de lui ce qu’il était ; mais, en revanche, une situation unique dans la région, une vogue qui s’étendait aux limites extrêmes de l’arrondissement, forçait toutes les portes et frappait au plus épais des clientèles anciennes.

Un parti convenable en somme, et avec lequel il fallait compter, un homme qui tenait tout le pays dans sa trousse, et dont l’influence bien manœuvrée le porterait quelque jour à une position très haute.

— Tu sais. Minette, il sera conseiller-général aux élections prochaines. M. Durou a fait son temps, pécaïre !… et de là à la députation, vois-tu, il n’y a qu’un pas.

Alors Thérèse se dressait dans une attitude rêche, prenait ses grands airs de bourgeoise prude :

— Je reconnais que le docteur Bosredon a des qualités, de la considération, un bel avenir, mais c’est un païen, un athée, qui ne met jamais les pieds à l’église, approuve bien haut la laïcisation