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LES DUPOURQUET.

du ciel, en faisait une large nappe à la lois lumineuse et terne qu’on eût dit éclairée de loin à travers d’immenses glaces dépolies.

À l’orient, au contraire, l’azur se plombait, se brouillait en s’obscurcissant toujours, puis se fixait nettement en un bleu sombre, où de distance en distance, comme desbrillans sur du velours, scintillaient les premières étoiles.

Bien qu’il ftt presque nuit, la chaleur était accablante encore. Des cigales enragées depuis midi continuaient leur stridente musique dans les arbres comme si elles eussent toujours reçu sur leurs ailes l’excitant baiser du soleil. Au bord des mares, dans les profondeurs herbeuses des fossés, enhardies par le grand silence des champs déserts, des grenouilles échangeaient leurs croassemens courts ; et de la plaine, comme quelque chose de formidable et de très doux, montait en crescendo la chanson des insectes.

Au sortir du parc, Dupourquet et Julien avaient pris à droite par un chemin charretier qui desservait toute cette portion des terres, bifurquant, se ramifiant pour les besoins de l’exploitation dans les talveres qui sont le cadre obligé des pièces en labour, et soudain ils se trouvèrent face à face avec les journaliers qui, leur râteau de fer sur l’épaule, rentraient au Vignal.

Alors par la force de l’habitude, le visage de Dupourquet se détendit, s’harmonisa en ces lignes bienveillantes, en ce sourire poli et bon, qui lui donnaient l’air d’un prêtre bénisseur dont la sainteté est surtout faite d’indulgence.

Les paysans saluèrent gauchement, la main au béret :

Aditias, moussu Dupourquet et la compagno[1].

Et lui toujours sa même phrase flatteuse, aux intonations cordiales :

— Bonjour, mes amis, bonjour ! Eh bien ! en avez-vous beaucoup secoué de ce maudit chiendent aujourd’hui ?

L’un d’eux se hasarda à répondre en français au nom de tous :

— Cette couçonnerie ! n’en reste bien assez encore, mais n’avons fini tout de même au clos du Cérigier.

— Ah ! tant mieux ! un bon tiers du travail de fait alors. Puisque le temps pare, il faudra vous attaquer demain aux « cances » de Mazot.

Et les congédiant d’un geste large :

— Allons, bonjour, mes amis, bonjour !

Mais ils restaient là plantés comme des bornes, l’air gêné et béat tout à la fois. Celui qui avait déjà parlé reprit :

— Comme ça mademoiselle Thérèse est dé rétour.

  1. Bonsoir, monsieur Dupourquet et la compagnie.