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LES DUPOURQUET;

— Maximi ! eh ! Maximi…

Un grand gaillard, en manches de chemise, pieds nus, qui paillait en un coin du parterre une corbeille de tulipes, se redressa lentement.

Plaît’y, moussu ?

— Voilà trois heures, il faut atteler, mon brave.

Maximi étendit une dernière brassée de paille humide au pied des fleurs, égalisa le tout d’un coup de fourche et répondit, en français cette fois :

— Oui, m’sieu.

Puis, après avoir rassemblé ses outils qu’il jeta comme un faisceau d’armes sur une épaule, et tandis qu’il se dirigeait vers l’écurie avec cette allure nonchalante du paysan que l’on dérange, il demanda :

— Quelle voiture qu’y faut prendre ?

Dupourquet sourit d’un air de pitié, et déclara non sans emphase :

— L’américaine, parbleu ! Surtout, n’oublie pas de visser la planchette derrière le capotage pour placer la malle de mademoiselle.

— Il y est.

— Parfait ! Ah ! une dernière recommandation ; brosse un peu la Grise, elle a encore aux jambes, depuis huit jours, toute la boue qu’elle prit à Mauroux ; puis, tu lui donneras une poignée d’avoine.

Et il ajouta avec l’importante gravité d’un homme qui commet sciemment des folies :

— Tu peux lui mettre le harnais neuf.

— Oui, m’sieu.

— Et toi, il faudra prendre ta casquette.

Maximi eut un geste insoucieux qui semblait dire : mon Dieu ! je me trouve aussi bien nu-tête… enfin, si vous y tenez…

Et tandis que, de la porte, il apostrophait rudement la Grise couchée de tout son long sur la litière, Dupourquet se remit à éplucher soigneusement sa redingote des dimanches, grattant de l’ongle une tache de bougie qui semblait une larme blanche ineffaçable sur la soie côtelée de la bordure.

Quelques instans plus tard, la voiture venait se ranger près du perron, au pas lentement cadencé d’une jument oreillarde et ventrue dont il eût été difficile de constater l’âge et de préciser la race.

Le véhicule, lui, très bas sur roues, massif et long, avait un vague dessin de phaéton et une importance de calèche. L’ar-