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n’est pas absolument novice en ces questions. L’archevêque-évêque de Pérouse s’en était inquiété avant le successeur de Pie IX. On en trouve la trace dans ses lettres pastorales de 1877-1878. Il avait étudié les auteurs, il ne dédaignait pas de citer Bastiat à côté de saint Thomas. Léon XIII n’a jamais été de ces dévots qui font fi de la science. Aussi ne sommes-nous pas étonné de retrouver, dans l’ample et ferme latin pontifical, les démonstrations classiques des économistes et des philosophes. Le souverain pontife est ici l’interprète de la loi naturelle, en même temps que de la loi révélée. La propriété n’a jamais eu de champion plus vigoureux. C’est sur la pierre inébranlable du droit naturel qu’il prétend l’asseoir. A ses yeux, la propriété n’est pas simplement une création de la loi pour l’utilité commune ; de même que la famille, elle émane de la nature, elle repose sur un droit antérieur aux lois et aux conventions sociales. Par suite, le socialisme n’est pas seulement une utopie, il est une injustice, une violation du droit. Pour le pape, comme pour la plupart de nos économistes, la propriété est le complément naturel de la personnalité humaine ; elle a pour base le travail et l’épargne. Sa légitimité est fondée sur le droit de l’individu et sur le droit de la famille ; elle est confirmée par l’intérêt général. Et cela, selon le pape, est vrai de l’appropriation du sol, aussi bien que de l’appropriation des capitaux, de façon qu’il combat le socialisme, sous sa double forme, le socialisme agraire de H. George ou de Tchernychevsky, non moins que le socialisme ouvrier de Marx et de Lassalle. Pour Léon XIII, comme pour nos économistes, la substitution de la propriété collective à la propriété personnelle appauvrirait les sociétés. Pour lui, comme pour nos juristes, le droit de propriété a pour corollaire le droit de transmettre la propriété, l’un et l’autre étant de droit naturel. Et cette propriété et cet héritage, « l’autorité publique viole la justice, quand sous le nom d’impôts, elle les grève de charges exagérées, » car ils appartiennent aux particuliers et non au public. A l’État, comme aux foules, aux rapines masquées du fisc, comme aux convoitises brutales des masses, le souverain pontife oppose les règles éternelles de la justice, contre laquelle ne sauraient prévaloir ni décrets souverains ni lois populaires. Cela n’est pas permis ! Non licet ! leur crie-t-il. Les spoliateurs d’en haut, ou d’en bas, ont beau se couvrir de l’intérêt public, le pape leur barre la route avec le vieux commandement du Décalogue : « Tu ne prendras pas le bien d’autrui. »

A toute cette démonstration, la science laïque n’a qu’un mot à dire : Amen. Économistes, philosophes, juristes doivent se féliciter d’entendre, dans les deux hémisphères, les déductions de la science