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derniers à pouvoir se plaindre de cette soi-disant confusion. Est-ce la seule de ce genre qu’un œil attentif puisse découvrir dans les encycliques pontificales ? Si le suprême pasteur semble à quelques-uns n’avoir pas donné du mot socialisme une définition exacte ; s’il leur paraît en avoir étendu ou aggravé la signification en l’entendant partout dans le sens le plus outré, ne pourrions-nous pas rappeler qu’il en a été de même, a fortiori, du libéralisme condamné par les encycliques de Grégoire XIII, de Pie IX, de Léon XIII lui-même ? Les libéraux, ou tels d’entre eux, n’auraient-ils pas le droit de dire qu’ils n’entendent pas toujours le libéralisme de la même manière que le Syllabus et l’encyclique Quanta cura ? que, lorsqu’ils défendent la liberté de la presse ou la liberté des cultes, ils ne prétendent point, comme on le suppose à Rome, que l’erreur et la vérité, le mal et le bien aient théoriquement les mêmes droits. Cela n’empêche point que le libéralisme n’ait été condamné, aux applaudissemens de la majorité des catholiques militans ; cela n’empêche pas que, aujourd’hui encore, dans la plupart des séminaires, le libéralisme est taxé d’erreur et d’hérésie, et que, à l’heure même où l’Église n’a de chance de liberté que dans les libertés communes, certaines feuilles religieuses font toujours défense à ses fils de se dire libéraux. Heureusement pour eux, et heureusement pour l’Église, la distinction, quelque peu scolastique, de la thèse et de l’hypothèse est venue donner aux catholiques, amis des libertés publiques, le moyen de mettre d’accord leurs convictions libérales et leur foi religieuse. Un des services que Léon XIII a rendus à l’Église, c’est assurément d’avoir, par l’encyclique Immortale Dei[1], donné à ce compromis la sanction pontificale. Pareil compromis se fera-t-il jamais pour le socialisme, et tout en le repoussant en théorie, les catholiques pourront-ils, en fait, se déclarer socialistes, ou agir comme tels ? Oseront-ils, là aussi, user de distinction entre le mot et la chose, entre la thèse et l’hypothèse ? Il m’étonnerait peu que d’aucuns le tentassent un jour ; que, laissant à d’autres le nom repoussé par l’Église, certains, s’abusant eux-mêmes, fissent du socialisme, en le démarquant. De cela, le saint-siège ne saurait être responsable, car, en réprouvant le socialisme, la papauté a réprouvé le nom et la chose.

— Si le pape condamne le socialisme, c’est que l’Église a oublié l’Évangile. Qui parle ainsi ? Est-ce uniquement le prolétaire et les tenans de la révolution sociale ? Non. J’ai entendu mainte fois

  1. L’encyclique sur la Constitution chrétienne des États (voyez particulièrement le commentaire de M. Ém. Ollivier).