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poussait dans le même sens, se félicitant d’avoir enfin donné à la vieille mère, si longtemps négligée, une prise sur ses filles ingrates, les nations modernes. « Allez au peuple ! répétaient au pape des voix d’Orient et des voix d’Occident, des voix du Septentrion et des voix du Midi, et, par le peuple, vous rétablirez l’ascendant du Christ et vous préparerez le triomphe de son Église. » Léon XIII, après de longues réflexions, s’est rendu à ces conseils ; sa réponse a été l’encyclique Novarum rerum, la bien nommée ; car, si elle parle de choses en réalité aussi vieilles que le monde, du travail, de la souffrance, du pain gagné à la sueur du front, elle le fait avec des accens nouveaux dans l’église, en des termes inconnus du latin ecclésiastique. Ce n’était plus pour réprouver les aspirations du siècle que le saint-père s’adressait aux peuples, c’était pour leur montrer qu’elles ne pouvaient être satisfaites que par la religion et par le Christ.

Et ce n’était pas là, de la part du pontife romain, pure habileté politique. Certes, l’ascendant qu’elle a trop souvent perdu sur les classes populaires, il est permis à l’Église de chercher par quels moyens elle peut le rétablir. Mais il y a autre chose ici. Pour emprunter le langage du maître de la politique réaliste, la question sociale n’est pas seulement une carte dans le jeu du Vatican, un atout tenu en réserve, que, en joueur habile, le pape jette sur table, au moment venu, pour gagner une manche de l’interminable partie engagée entre l’Église et l’État moderne. Non ; — qu’il en soit ainsi, en certains pays, de différentes écoles sociales, plus ou moins chrétiennes, nous n’y contredirons point. Avec le régime électif, tout, pour les partis, devient tactique électorale ; et, le sort des élections dépendant des masses démocratiques, chacun s’ingénie à s’affubler en démocrate. C’est ainsi que, presque partout, les halles publiques, où se fait la criée des votes du peuple, retentissent de surenchères démoralisantes. Gauche ou droite, républicains ou monarchistes, — le socialisme est la fausse monnaie dont les joueurs de la politique paient les voix du peuple. La papauté a trop de loi dans sa mission pour se résigner à de pareils marchés. Je ne sais rien, — de nos jours du moins, — à lui comparer pour la sincérité. Que de fois n’a-t-elle pas montré qu’elle craignait peu de froisser les sentimens du siècle ! La politique et les considérations humaines ont-elles eu leur part dans la conduite de Léon XIII, c’est dans un sens plus élevé qu’on ne le croit d’ordinaire. Si lente que Rome ait été à s’y décider, cette évolution démocratique rentre dans le plan général qu’avait longuement médité, à Pérouse, le grand pontife qui a succédé à Pie IX.

Quel est le but que paraît s’être donné le cardinal Pecci en acceptant l’anneau du pêcheur ? Un double but, semble-t-il ; il