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Daignait-il reconnaître au christianisme un office social, c’est bien ainsi que ce siècle de peu de foi a généralement compris la fonction de l’Église : une succursale de la gendarmerie. Besogne ingrate, en vérité, et méchant rôle pour les successeurs des Grégoire VII et des Innocent III, des Ambroise et des Augustin, des Becket et des Bossuet ! Y a-t-il quelque part, en Prusse ou en Russie, des clergés qui s’en peuvent contenter, ce n’est point celui du pontife romain ; s’il a parfois semblé s’y résigner, ce ne pouvait être pour longtemps. Comme, naguère, les ministres des monarchies semblaient croire l’Église instituée pour faire la sentinelle autour des trônes ou former aux rois des sujets dociles, les bourgeois enrichis se figuraient qu’elle était faite pour veiller sur leur coffre-fort et sur leur garde-manger, pour permettre à leurs femmes ou à leurs filles de passer en sécurité les nuits à danser, et à leurs fils de souper en joyeuse compagnie dans les cabarets à la mode. Voilà à quoi se réduisait, pour la plupart des hommes du XIXe siècle, l’utilité de la religion. Interrogez M. Prudhomme, c’est pour cela qu’il consentait à voter le budget des cultes. Ce n’est pourtant point pour cela que le Verbe s’est fait chair ; que Pierre de Galilée et Paul de Tarse ont apporté l’Évangile aux nations ; que les Urbain et les Sixte, les Hildebrand et les Alexandre ont lutté dix siècles contre les anciens et les nouveaux Césars. — Et pourquoi ne pas le dire ? nous-mêmes qui prétendions la défendre contre l’inepte fanatisme de bornés libres penseurs, nous nous faisions de l’Église et de la religion une assez piètre idée. Ce que l’humanité a connu de plus divinement sublime, la croix du Calvaire, nous le ravalions au terre-à-terre d’un utilitarisme grossier. Jamais peut-être on n’avait plus ingénument matérialisé la religion. Alors que, par nos égards et par l’affectation de nos respects, pour ne pas dire de nos politesses, envers l’Église et ses ministres, nous nous vantions d’avoir rompu avec l’impiété à courte vue du XVIIIe siècle, nous demeurions, à notre insu, dans la tradition du voltairianisme, mais d’un voltairianisme déniaisé par les révolutions. A l’imitation du Béarnais, la reine d’hier, la parvenue du jour, la bourgeoisie avait dit : « Régner vaut bien une messe ! » Elle sentait le besoin d’avoir entre le peuple et elle, entre les convoitises d’en bas et les jouissances d’en haut, quelqu’un qui.prêchât aux masses la patience et la résignation ; une voix qui, durant ses fêtes ou ses plaisirs, criât aux misérables : « Tenez-vous tranquilles, regardez jouir les autres ; vous aurez votre récompense