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montrer, évangélique. Par sa dépossession même, par sa captivité, par sa pauvreté, par sa faiblesse apparente, elle se trouve plus près du peuple, plus près des pauvres et des petits, qu’elle ne l’avait été depuis mille ans.

Nous le voyons déjà. L’horizon du Vatican a reculé ; il s’est élargi, tout en s’assombrissant, depuis 1870 et la mort de Pie IX. Pour Pie IX et pour Grégoire XVI, — comme pour M. Clemenceau et les pontifes du radicalisme, — la révolution formait un bloc ; Rome en repoussait tout in globo. Entre les idées modernes que La Mennais avait, en vain, voulu lui faire bénir et qui paraissaient également réprouvées par le Syllabus, la curie romaine devait apprendre à faire des distinctions. Elle s’est mise à les trier, elle les a secouées dans le van de ses docteurs, elle les a passées au crible subtil de ses théologiens, et plus d’une a trouvé grâce devant elle. Rome a déclaré que la démocratie, la république, les réformes sociales n’avaient rien pour l’effrayer. Elle ne craint plus de sourire à la société moderne ; au lieu de lui barrer le chemin avec des anathèmes, elle offre de lui aplanir la route. C’est aux petites gens, aux ouvriers, à ceux qui supportent le poids de la chaleur du jour, que semble s’adresser, de préférence, le pape détrôné ; et il leur parle de ce que ces pauvres gens, absorbés par les soucis de la vie, ont le plus à cœur, de leur travail, de leur salaire, de leur pain quotidien. Le Vatican, qu’on s’était habitué à regarder comme la borne de l’immobilité, est, à son tour, dans le mouvement. La papauté, elle aussi, « va au peuple, » la papauté « se fait peuple. »

C’est que les revendications ouvrières offrent au saint-siège un moyen de s’associer aux aspirations du siècle sans rompre avec les doctrines traditionnelles. N’allons pas croire que la tradition ait perdu toute autorité à Rome, que le pape octogénaire se soucie peu d’être d’accord avec ses deux cent cinquante prédécesseurs. Nullement ; la solidarité pontificale n’est pas en cause ; il serait malséant de crier à la contradiction. Pour la papauté, la question ouvrière a, précisément, cet avantage, qu’elle lui permet de donner la main au peuple tout en tournant le dos à la révolution. C’est là un point à retenir. La chaîne sacrée des enseignemens pontificaux est demeurée intacte ; parce qu’elle a été pliée et comme coudée dans une direction nouvelle, il n’y a pas de rupture entre ses anneaux. Ne cherchons pas à mettre les encycliques du pape Léon XIII en opposition avec le bullaire de ses prédécesseurs. Nous n’y réussirions point. A tout prendre, il n’y a pas ici de palinodie. L’importance croissante donnée aux questions sociales n’est pas un démenti à l’Église ; ce serait plutôt un démenti à la révolution, ou à ce que l’Église considère comme un dangereux succédané de la révolution, au libéralisme. Le peuple, longtemps