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I

Cette intervention de l’Église dans la plus brûlante des questions contemporaines, le saint-siège y avait été, dès longtemps, sollicité par deux des voix les plus retentissantes du siècle, toutes deux françaises, l’une partie du sanctuaire et l’autre du monde ; mais aucune des deux, pour des raisons diverses, n’avait trouvé d’écho à Rome. Voici déjà trois ou quatre générations qui s’éprennent tour à tour du rêve de renouveler les sociétés humaines ; entre tous les esprits qu’a hantés ce beau songe, quelques-uns, plus libres ou moins infatués, sentant que, pour une pareille entreprise, ce n’était pas trop de toutes les forces sociales, avaient osé inviter la vieille Église, à prendre elle-même en main l’initiative de la réforme. C’est ainsi que Paris fit appel à Rome, et que la question sociale, encore novice et déjà hardie, frappa bruyamment, presque impérieusement, deux fois en quelques années, à la porte du Vatican. La première fois, c’était par la main de Saint-Simon, la seconde, par celle de La Mennais, deux prophètes des temps nouveaux presque également téméraires et également superbes, qui, à travers toutes leurs chimères, ont tous deux, à certaines heures, été des voyans. Saint-Simon, La Mennais, voilà les deux grands ancêtres de cet enfant, né d’hier, qu’on appelle le socialisme chrétien.

Alors que tout le siècle semblait se complaire à repousser l’Église loin du monde pour la confiner dans l’ombre mystérieuse de ses cathédrales, c’est de l’école la plus impatiente de nouveautés qu’est parti le plus ancien et peut-être le plus pressant appel à la coopération sociale de la papauté. Qui s’en souvient aujourd’hui parmi les adhérens de M. de Mun ou de M. Decurtins ? Le premier à réclamer pour les classes ouvrières le secours du pontife romain a été Saint-Simon. En cela, l’utopiste était plus clairvoyant que les politiques. Il pressentait que les convulsions des sociétés modernes devaient offrir à la papauté l’occasion d’un rôle nouveau ; seulement, il n’était pas assez catholique pour en apercevoir les conditions. Il avait le tort de croire qu’il fallait, pour cela, renouveler tout le christianisme. La révolution qu’il projetait d’accomplir dans le monde, le gentilhomme socialiste eût voulu la pouvoir placer sous le patronage de la papauté. Dès 1825, dans son Nouveau christianisme, Saint-Simon, s’adressant au pontife suprême, lui disait, en ses pesantes formules : « Vos devanciers ont suffisamment perfectionné la théorie du christianisme, ils l’ont suffisamment propagée. C’est de l’application de la doctrine qu’il faut vous occuper. Le véritable christianisme doit rendre les hommes heureux non-seulement dans le ciel, mais sur la terre.