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bien d’autres, prouvant seulement une fois de plus qu’il y a d’habiles roués de Bourse pour tout exploiter, et des naïfs pour tout croire. En réalité, la situation de l’Europe, telle qu’elle a été fixée par les derniers incidens de politique générale, reste ce qu’elle est, incertaine sans doute, — plus que jamais garantie néanmoins par un certain équilibre de forces, surtout par la crainte de déchaîner des conflits dont nul ne voudrait prendre la responsabilité. Cette situation européenne, dans son ensemble, dans ses apparences, n’a été modifiée ni par les derniers discours de lord Salisbury ou de M. di Rudini, ni par les explications plus récentes que M. de Kalnoky vient à son tour de donner aux délégations austro-hongroises, ni par le rapide séjour que le chancelier de Russie, M. de Giers, vient de faire à Paris. On pourrait peut-être dire, au contraire, que tout cela s’accorde assez et que l’impression qui s’en dégage est plutôt bonne pour la prolongation de la trêve à l’abri de laquelle l’Europe se repose.

Rien assurément de plus simple et de plus caractéristique à la fois que ce voyage de M. de Giers à Paris, suivant de si près la visite à Monza et suivi d’une courte halte à Berlin. M. de Giers est un homme discret et expéditif qui, sans négliger le soin de sa santé, fait beaucoup de chemin en peu de jours. En venant à Paris, il a eu la chance de s’y rencontrer avec les grands-ducs Wladimir et Alexis dont la présence parmi nous date déjà de quelques jours, de sorte que la Russie a été un instant représentée par les parens les plus proches du tsar et par l’agent le plus direct, le plus élevé de sa politique. Toutes ces visites russes ont eu de plus cet intérêt que tout s’est passé sans bruit, sans ostentation, sans apparence de cérémonie officielle. Les grands-ducs, assurés d’un bon accueil, ont trouvé ce qu’ils désiraient le plus peut-être, la liberté, le droit de prendre leur plaisir à Paris. Ils n’ont point été gênés, ils ont eu tout au plus les honneurs d’une chasse présidentielle ! Le chancelier, à son tour, a été traité selon ses vœux, en simple voyageur de distinction. Si peu qu’il soit resté, il a eu bien entendu le temps d’être fêté à l’Elysée et au quai d’Orsay. Il a eu ses entrevues particulières avec le chef de l’État, avec le président du conseil comme avec le ministre des affaires étrangères, et peu d’instans encore avant son départ, il s’est fait un devoir d’aller prendre congé de M. le président de la République ; mais, l’intention est sensible, tout a été maintenu dans la mesure d’une réception simple et cordiale, presque intime. M. Carnot et M. Ribot ont visiblement eu le soin de limiter leurs invitations dans les dîners qu’ils ont offerts au ministre russe, afin d’éviter toute apparence de solennité officielle. Ce n’est point évidemment ce qui peut diminuer l’importance du voyage de M. de Giers à Paris. On s’est étudié, il est vrai, à chercher toute sorte d’atténuations ou de diversions ; on s’est plu à expliquer comment par un pur hasard, par un enchaînement de petits faits imprévus, M. de