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n’était point son avis ; il déclare dans son testament qu’il a dû sa guérison à la vertu miraculeuse d’une relique : « A peine eus-je touché le corps de Fray Diego, je me sentis entrer en convalescence ; ce fut l’effet de son intercession auprès de Sa Majesté divine ; aussi me promis-je, dès lors, de travailler à obtenir sa canonisation. » Son confesseur lui rendait le témoignage qu’il avait toujours été un bon et fervent catholique, et Dietrichstein lui reprochait d’être pieux à l’excès : Ist gar feintlich gottsforchtig. Ce qui paraît certain, c’est qu’il avait plus de goût que son père pour les dévotions superstitieuses. Je me souviens d’avoir vu à Madrid, dans une riche collection d’autographes, une lettre écrite de sa main, par laquelle il demandait instamment qu’on lui procurât le prépuce de Jésus-Christ, qui était conservé à Rome ; il estimait que la possession de ce prépuce lui rendrait plus facile l’exercice de certaines fonctions naturelles. Heureusement Schiller n’avait pas lu cette lettre.

Faut-il croire du moins que, par bonté d’âme, il ressentît quelque sympathie, quelque pitié pour les Flamands, et qu’il blâmât son père de vouloir étouffer leur rébellion dans le sang ? Assurément, il s’intéressait à leurs affaires, et il eût été ravi qu’on le chargeât de les gouverner, de les mettre à la raison. L’Espagne était pour lui un cachot ; il grillait d’envie de voyager, de respirer un air plus libre. Les cortès avaient demandé que, si Philippe se rendait en personne dans les Flandres, il confiât la régence à son fils. Don Carlos leur reprocha vertement leur impertinente indiscrétion ; pourquoi se mêlaient-elles de ce qui ne les regardait pas ? Quand le duc d’Albe eut été nommé lieutenant du roi dans les Pays-Bas, le prince eut avec lui une violente altercation et le menaça de son poignard. Il ne lui en voulait pas d’avoir le cœur dur, il ne pouvait lui pardonner de s’être fait donner une mission qu’il convoitait pour lui-même. Il aspirait à se marier et il aspirait à s’en aller. Que lui importait la liberté des Flamands ? Il entendait conquérir la sienne, en mettant des montagnes et des fleuves entre son père et lui.

Quand il aurait eu un autre père, et fût-il entré en possession de cette souveraineté indépendante qu’il rêvait d’acquérir quelque part en Europe, il n’eût jamais été que le plus malheureux des hommes. Qu’était-ce que don Carlos ? Un rachitique, un infirme, un être mal venu, incomplet et manqué. Dietrichstein, qui lui voulait pourtant beaucoup de bien, nous le représente avec une bosse au milieu du dos, la poitrine creuse, une épaule plus haute que l’autre, la jambe droite sensiblement plus courte que la gauche, la bouche toujours ouverte, la langue empâtée, la voix faible et grêle. Il avait été sujet dès son enfance à ce genre de fièvres intermittentes qui ont une action fatale sur le cerveau. Ce prince au teint blafard, à qui Fourquevaulx