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charmante femme, qui alliait la grâce des Valois à une réputation sans tache, avait à Madrid de grandes occupations et de tous autres soucis que celui d’empêcher don Carlos de la compromettre par ses assiduités.

Comme le remarque M. Büdinger, elle s’appliquait à se conformer de son mieux aux instructions politiques que lui donnait Catherine de Médicis. Philippe II l’autorisait à se mêler quelquefois de ses affaires pour se faire pardonner sa liaison avec la princesse d’Eboli, épouse très peu fidèle de son favori Ruy Gomez. Cette liaison était devenue un secret public, et les Philippe II eux-mêmes sentent le besoin de ménager leur femme quand ils la trahissent. Mais Elisabeth était obligée à beaucoup de circonspection, et elle passait sa vie à recevoir des ordres de son impérieuse mère et à craindre d’offenser son vindicatif et ombrageux mari en les exécutant avec trop de zèle ; aussi, nous dit Brantôme, n’ouvrait-elle qu’en tremblant les lettres qui lui venaient de France.

Ce qui ajoutait aux difficultés de sa situation, c’est que Catherine était parvenue à lui persuader qu’elle avait hérité de son grand-père François Ier une maladie contagieuse, et que si jamais Philippe II venait à s’en douter, elle serait perdue : « Si votre mari le savait, assurez-vous qu’il ne vous verrait jamais. » Catherine croyait-elle réellement à cette prétendue maladie ? Il lui convenait d’y croire, c’était pour elle un moyen de tenir sa fille. Cette jeune reine si tracassée cherchait à se procurer de toutes parts des remèdes secrets contre un mal qu’elle n’avait pas, et selon toute apparence, ces remèdes dangereux, qui avaient à plusieurs reprises compromis sa santé, furent aussi la cause de sa mort.

Quels sentimens avait-elle pour son beau-fils ? Elle se montra toujours infiniment gracieuse pour lui, et ce fut sans doute un effet de sa bienveillance, de sa mansuétude naturelle ; mais ce fut aussi peut-être un système de conduite conforme à la politique que lui avait enseignée sa mère. Pendant les guerres religieuses, Catherine s’appliqua sans cesse à tenir la balance entre les partis, sans se donner. Quand les affaires commencèrent à se gâter entre Philippe II et son fils, Elisabeth se fit un devoir de ne mécontenter ni l’un ni l’autre. Après l’emprisonnement du prince, à la date du 8 février 1568, Fourquevaulx écrivait à Catherine pour lui signaler les heureuses conséquences de l’exhérédation de don Carlos, et il lui vantait la sagesse de sa fille, qui ne donnait en cette occasion aucune marque de joie. « La reine en pleure pour l’amour de tous deux, vu qu’aussi le prince l’aime merveilleusement. » Elle pleura deux jours entiers, après quoi son auguste époux lui ayant signifié que c’était assez pleurer, ses yeux se séchèrent comme par enchantement.