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philosophie. Dans toutes les directions de l’esprit, les coryphées disparaissent, les Rois s’en vont. Après avoir essayé de l’imitation de tous les temps et de tous les peuples dans sa poursuite du style, l’art industriel n’est point parvenu à avoir un style à lui. Partout, sans conteste, règne l’esprit démocratique, niveleur, atomisant de ce siècle. La culture de notre époque est purement historique, alexandrine, tournée vers les choses du passé ; elle cherche bien moins à créer des œuvres nouvelles qu’à cataloguer les œuvres anciennes… Goethe qui chez nous est théoriquement en honneur, mais qu’en réalité on méconnaît, Goethe ne pouvait souffrir les gens à lunettes, et l’Allemagne est aujourd’hui pleine de gens qui, au physique comme au moral, portent des lunettes. Quand donc reviendrons-nous au point de vue de Goethe ? .. Il est nécessaire pour un peuple d’avoir des axes nettement définis, de savoir où il va ; et l’on se préoccupe surtout chez nous des découvertes dans l’est de l’Afrique, alors qu’il y en aurait de bien autrement importantes à faire en Allemagne… On est saturé d’induction et on a soif de synthèse ; les beaux jours de l’objectivité sont passés et voici de nouveau la subjectivité qui frappe à la porte. »

J’abrège cet exposé d’une situation lamentable dont la cause et le vrai coupable, à en croire M. Langbehn, serait le professeur allemand, « cette maladie nationale de l’Allemagne, » comme il l’appelle. Entre les mains du professeur allemand, l’éducation de la jeunesse n’est qu’une répétition indéfinie du massacre des innocens de Bethléem. Puisqu’il a si mal rempli son office, il doit céder la place à l’artiste. Tel est du moins le rêve de notre moraliste, bien différent, on le voit, de Platon qui voulait, lui, reconduire ce même artiste, avec tous les égards possibles, jusqu’aux confins de sa république. Mais les points de vue ont changé. Pour M. Langbehn, ce dont l’Allemagne a le plus besoin, c’est d’individualisme ; c’est l’individualisme qui est le vrai fond du tempérament germanique et sa force. « Il n’y a pas, ajoute-t-il cruellement, dépeuple chez lequel on trouve plus de caricatures vivantes ; mais cette excentricité même est une marque de la diversité des individus et de l’action qu’une culture intelligente pourrait exercer sur eux. » C’est donc l’artiste qui, dans ce désarroi général, peut devenir le meilleur guide, car il est, lui surtout, le représentant de l’individualisme et parmi tous les artistes le plus individuel, c’est Rembrandt. On l’estime déjà, mais pas encore à sa valeur. Il est l’idéal vers lequel doit tendre tout l’effort de la culture germanique. Cet homme-là ne rentre dans aucun cadre ; il ne se laisse étendre sur aucun des lits de Procuste de la science. Ni les programmes académiques, ni les formules d’école n’en sauraient fournir la monnaie « comme pour Raphaël