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paradoxes de l’écrivain anonyme ; d’autres renchérissant encore sur ses théories. Nous devons à M. Max Bewer, l’auteur d’une de ces dernières[1], le récit fait par lui, d’une visite à Varzin, vers la fin de 1890 et dans lequel il nous rapporte l’entretien qu’il aurait eu à ce propos avec M. de Bismarck, lui-même. « C’est un heureux symptôme, lui aurait dit le prince, que Rembrandt ah Erzieher ait eu un pareil retentissement. Au lit, où j’aime à lire un peu pour m’endormir, cette lecture me tenait éveillé. En tout cas, c’est un livre plein d’idées. » Et comme M. Bewer exprimait l’espoir que cette publication serait le point de départ d’une nouvelle ère littéraire, allemande en son essence, le prince répondit : « Dieu veuille qu’elle produise l’effet que vous en attendez ! J’ai invité l’auteur chez moi et il est venu passer deux jours à Varzin. Il a la timidité d’un enfant et il faut le secouer pour le faire parler ; ce qui est d’autant plus étonnant qu’il écrit à coups de massue. » N’en déplaise à M. de Bismarck, le contraste n’a rien de si étrange, et il n’est point rare de rencontrer des écrivains qui, entièrement dépourvus d’assurance en société, retrouvent en face de leur papier toute la hardiesse qui leur manque dans la conversation. La réserve de l’auteur vis-à-vis d’un personnage tel que M. de Bismarck n’était d’ailleurs que très naturelle chez un homme bien élevé, et de fait, un de mes amis questionné par moi sur M. le docteur Langbehn, — c’est le nom de cet auteur, — me le représente comme un jeune homme du meilleur monde, « archéologue en rupture de ban, esprit très honnête et très indépendant, plein de vie, exprimant ses idées sous une forme souvent prophétique et un peu abstraite, en train de devenir artiste et resté très modeste. » Si la modestie de M. Langbehn a résisté au succès de son livre, un des plus grands qu’ait enregistrés la librairie allemande en ces derniers temps, c’est que cette modestie est, en effet, foncière et de bon aloi.

Il est peut-être instructif de connaître des idées qui ont à ce point remué nos voisins. Le titre du livre, il faut bien l’avouer, frappe tout d’abord par sa bizarrerie. Quelque admiration qu’on ressente pour Rembrandt, on ne s’attend guère à rencontrer chez lui un plan d’éducation. Il serait assez bizarre que ce grand enfant de génie qui n’a jamais su se conduire lui-même pût devenir le guide d’une nation et lui fournir un programme à cet égard. Si l’Allemagne, comme l’affirme notre écrivain, en est encore à chercher ce programme, nous doutons fort qu’elle le trouve dans ce volume, dont, à le bien prendre et malgré son titre, Rembrandt n’est pas le sujet, mais seulement le

  1. Rembrandt und Bismarck ; Dresde.