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LE LANGAGE
ET
LES NATIONALITES

Nos philosophes français du XVIIIe siècle voyaient dans le langage une invention de l’intelligence humaine, destinée d’abord aux besoins les plus simples de la vie, et peu à peu employée à des usages plus relevés : ils auraient été bien étonnés s’ils avaient pu pressentir les systèmes que le siècle suivant verrait éclore. Qu’eût pensé, par exemple, Voltaire, en entendant assurer que le langage est un organisme vivant, indépendant de la volonté de l’homme ? Eux qui croyaient que leur devoir était de polir, de perfectionner la langue française, de lui donner de nouvelles qualités de clarté, de logique et de précision, qu’auraient-ils dit si on leur avait appris que la littérature et les gens de lettres étaient un obstacle, une gêne et un trouble ? On parlait alors des caprices de l’usage, caprices qu’il fallait respecter, lors même qu’on ne parvenait pas à les comprendre : quelle eût été la surprise de ces écrivains en entendant affirmer que le langage obéit à des lois fatales et nécessaires ?

Ce n’est pas tout. En présence de la variété des idiomes parlés en Europe et hors d’Europe, nos aïeux songeaient surtout à la difficulté de faire pénétrer au loin les lumières de la raison : ils se seraient volontiers écriés, comme le faisait plus tard l’indianiste anglais Hodgson, en énumérant les mille ou douze cents dialectes parlés sur la surface du globe : What a wonderful superfluity of