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Peel et dans l’évolution des conservateurs vers le libéralisme ; mais la concurrence même qu’on faisait aux anciens whigs comme lui, en créant un nouveau parti libéral, piquait d’émulation cette nature prompte aux coups de hardiesse.

Plus timide, le comte Grey administrait les colonies avec des principes un peu surannés déjà. Une entre toutes le tracassait, c’était le Cap. La guerre dite « de la hache, » commencée en 1846, avait duré deux ans, et se soldait par une dépense de plus de 25 millions de francs. Les chambres murmuraient. Le ministre eut alors une idée malheureuse. Puisque l’Afrique australe coûtait si cher à garder et ne rapportait absolument rien que des ennuis, pourquoi ne pas lui fournir l’occasion de rendre un service à la métropole ? Ce serait peut-être le meilleur moyen d’apaiser les critiques au sein du parlement. On cherchait partout, à ce moment-là, des colonies de bonne volonté pour la fondation d’établissemens pénitentiaires. On démontrait que l’entretien d’un condamné se chiffrait par 600 francs par an dans la mère patrie, par 100 aux antipodes. Pourquoi ne pas mettre un bagne à Cape-Town ? Le Cap manquait de bras : eh bien ! on lui en donnerait. Lord Grey aurait pu se dire qu’une colonie australienne, la Nouvelle-Galles, avait renvoyé à l’Angleterre une cargaison de convicts, comme Boston une de thé lors de la déclaration d’indépendance des États-Unis. Il y avait toujours la ressource de déporter en Tasmanie, aux Bermudes ou ailleurs, mais traiter le Cap comme une possession bonne tout au plus pour recevoir l’écume du royaume-uni, quand Sydney n’en voulait plus, c’était une insulte. Cependant un ordre en conseil autorisa la création du pénitencier. Le secrétaire d’État, en informant de cette décision le gouverneur du Cap, la justifiait par les sacrifices de la dernière guerre contre les Cafres. On se figure l’émoi des habitans au su de ce qui se préparait : tous, sans distinction d’origine ni de classe, protestèrent avec véhémence par des pétitions et des manifestations en plein air. Le cabinet métropolitain ne tarda pas à en être informé, mais il résolut d’agir quand même, et, vers le milieu du mois de septembre 1849, le transport Neptune, ayant à bord 300 forçats, mouillait devant l’arsenal de Simon’s-Town. Ce bâtiment ne reprit la mer que cinq mois après, sans avoir pu réussir à débarquer son monde. Les colons avaient formé une ligue dite Anticonvict association. Elle se proposait de couper les vivres à la marine, à l’armée, aux services civils et surtout au Neptune, tant que le gouvernement persisterait dans son dessein. Quelques fournisseurs voulurent enfreindre la règle, des matelots firent mine de rompre les cordons de vigilance, on échangea maints horions, et le sang aurait coulé à flots sans l’extrême patience des autorités locales.