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rez-de-chaussée, dans la colonie du Cap, qu’il y en a le plus. Pour nombre de personnes, le Cap, possession anglaise, est peuplé d’Anglais. Une autre nation, dont le nom devrait alors s’écrire avec une majuscule comme celui des Français ou des Russes, les boers, leur semble cantonnée dans l’État libre et dans le Transvaal. Les Anglais veulent manger les boers : voilà, dès lors, tout le secret de la politique sud-africaine. C’est une impression naturelle à distance, mais peu exacte, et que l’examen des faits modifiera. On nous permettra d’abord une très petite remarque, utile en son genre, sur l’orthographe et la prononciation de ce prétendu nom de peuple. Nous avons pris l’habitude en France, personne ne pourrait dire pourquoi, d’orthographier boër avec un tréma sur l’e, ce qui nous fait prononcer bo-air. Or l’oe hollandais sonne toujours comme notre ou : exemple, moederland (patrie), qui diffère à peine de l’allemand mutterland. Il faut donc prononcer bour. La majuscule n’a point de raison d’être, car il s’agit d’une classe, celle des propriétaires ruraux, en hollandais boers et en anglais farmers. A Cape-Town on vous parlera de boers anglais et de far-mers hollandais, cela dépendra de la langue employée. Seulement on distinguera, en hollandais, des vee-boeren, éleveurs, des korn-boeren, producteurs de céréales, des wijn-boeren, viticulteurs.

Le 7 avril 1652, un médecin naval au service de la Compagnie néerlandaise des Grandes-Indes, Jan van Riebeek, débarqua sur l’emplacement actuel de la ville du Cap avec un parti de marins, de soldats et d’artisans, plus un jardinier et sa femme, qui s’appelait Annetje. Il s’agissait de fonder une escale où les équipages des vaisseaux en route pour Batavia et ceux qui rentreraient en Europe trouveraient des légumes frais, du lait, des œufs, de la viande non salée ; bref, tout ce qui préserve du scorbut. Annetje reçut en charge les vaches de l’honorable Compagnie et fut surnommée de boerin, la paysanne. Il n’y eut donc là, d’abord, que des fonctionnaires, des militaires, des marins, des ouvriers enrôlés et cette unique boerin. Quelques années plus tard, neuf engagés obtinrent la résiliation de leurs contrats ; on leur distribua des lots de terrain pour planter du froment, du maïs, des choux, du tabac, des carottes, des oignons et des tulipes. Voilà quels furent les premiers boers, ou paysans ; mais bien qu’ils s’appelassent ainsi entre eux, officiellement ils furent gratifiés du qualificatif plus noble de vrije burghers, francs-bourgeois. C’est encore du burgher qu’il faut donner à toute assemblée de colons où les boers seraient en majorité ou en minorité, peu importe, si on les interpelle en hollandais. Beaucoup de ces paysans sont des messieurs, et de gros messieurs, dont les filles tapotent sur le piano et lisent les romans de M. Ohnet. Il paraît de temps à autre, dans les journaux du