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Quand on dit « le Cap, » tout court, et quand il est bien entendu qu’on ne parle ni du Cap-Haïtien, ni d’un cap quelconque hors d’Afrique, cela peut signifier trois choses : le cap de Bonne-Espérance, la ville du cap de Bonne-Espérance et la colonie du cap de Bonne-Espérance.

Le cap de Bonne-Espérance est l’abrupte pointe d’une falaise haute de deux cents mètres. Là, dans les anfractuosités de blocs granitiques entassés pêle-mêle, sur des tapis de bruyères australes et de plantes grasses, les « figues hottentotes, » pullulent des bandes rarement troublées de damans, petits pachydermes assez semblables à des marmottes et que les Anglais nomment rock rabbits (lapins de roche). Garnissant les balcons et les corniches du promontoire que la mer ceint d’écume, des légions de pétrels, de mouettes, de cormorans, d’albatros et de manchots se reposent des fatigues de la pêche ou veillent à leurs couvées. Chaque hiver, les baleines du pôle antarctique viennent jouer autour des récifs, sous l’œil blanc d’un phare moins visité que ne l’est, en plein estuaire de la Gironde, la tour de Cordouan. C’est qu’il y a loin encore de cette pointe à la ville du Cap, Cape-Town, l’ancienne Kaapstad des Hollandais. Le phare est tout au bout d’une longue presqu’île courbée en corne de rhinocéros dont la naissance, cinquante kilomètres en arrière, est une montagne de cime plate, la Table, et, au pied de la Table, dans la baie du même nom, s’élève la cité. Une ligne de rails qui va, depuis l’an dernier, jusqu’au port militaire de Simon’s-Town abrège beaucoup la distance ; mais à partir de là, on ne rencontre plus que des sentiers difficiles ou des routes inachevées. Maint habitant de Cape-Town passe sa vie sans avoir jamais mis les pieds sur le sol même du fameux cap. Cela explique l’intacte sauvagerie de ce coin de nature primitive, dans le voisinage d’une population urbaine et suburbaine d’environ soixante mille âmes. Afin d’éviter les confusions, nous désignerons toujours la ville du Cap par « Cape-Town » et la colonie dont elle est le chef-lieu par « le Cap. » Ce pays a un territoire plus vaste que la France, avec seulement quinze cent mille individus, pas plus que notre département du Nord. Il est tort curieux comme type de dépendance autonome de la couronne anglaise. Si l’on veut savoir ce qu’est une colonie peu différente d’une république, il faut y aller. On en verra une où le gouverneur ne règne pas et ne gouverne pas, où il y a un parlement qui règne avec un premier ministre qui gouverne, où des souverains éloignés ont leur fauteuil toujours vide dans une salle du Trône, mais n’usent jamais de leur droit de veto, pas plus d’ailleurs qu’ils ne l’ont fait chez eux depuis les temps de la reine Anne.

A côté se présente une autre possession britannique, le Natal,