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longtemps administré le département des affaires étrangères et a représenté la France au congrès de Berlin, M. Waddington, actuellement notre ambassadeur à Londres[1].

Ce qui n’est pas douteux, c’est que l’Angleterre fit alors son évolution. Nos représentans au Caire et à Londres en dénoncèrent, dès ce moment, les premiers symptômes. « La situation s’aggrave, écrivait le 14 janvier notre consul-général en Égypte… sir Ed. Malet (l’agent anglais) m’a exprimé, en particulier, l’opinion qu’une démonstration de toutes les grandes puissances pourrait avoir pour effet de calmer l’armée et les notables. » Et quelques jours plus tard, le 21, il ajoutait, en sortant d’une réunion avec M. Malet et les contrôleurs : « De cette conférence est résultée, pour moi, la conviction que le gouvernement anglais n’entend, en aucune façon, exercer en Égypte une action directe. Et si je dois m’en rapporter aux dispositions de mon collègue, le cabinet de Londres paraîtrait préférer de beaucoup une action commune des grandes puissances à une intervention qui ne serait que franco-anglaise. » M. Challemel-Lacour, de son côté, mandait le 17, en rendant compte d’un dernier entretien avec le principal secrétaire d’État de la reine : « Malgré la déclaration formelle de lord Granville relativement au prix qu’il attache à la bonne entente, non-seulement réelle, mais apparente,.. je n’ai pas trouvé ses dispositions entièrement satisfaisantes… Il est à peu près certain aujourd’hui, pour moi, que si le cabinet de Londres a envisagé l’éventualité d’une action effective des deux puissances à l’appui de la note collective, ç’a été, en fin de compte, pour l’écarter. » Un gouvernement de publicité comme celui de l’Angleterre peut-il impunément, voudra-t-il jamais s’engager dans un accord de cette importance avec l’intention, bien arrêtée d’avance, de se dérober dès le lendemain ? Nous ne saurions le présumer. Quelle circonstance pouvait lui imposer, à cette heure, un calcul si peu digne d’un grand État ? Il n’avait certes pas à craindre que la France entreprît seule une

  1. Voici en quels termes il s’est exprimé, au sénat, dans la séance du 25 juillet 1882 : « Je n’hésite pas à le dire, — chacun sait que je n’ai jamais été l’adulateur de M. Gambetta, — lorsqu’il a eu à traiter la question d’Égypte, il a été dans le vrai ; il a bien compris les intérêts de la France. Le temps lui a manqué ; sa courte existence ministérielle ne lui a pas permis de mener à bonne fin ce qu’il avait entrepris. Mais quant à moi, je suis convaincu que, si son ministère… s’était consolidé, l’entente avec l’Angleterre, jusques et y compris l’action militaire, n’aurait pas tardé à être conclue, et que, s’il y a eu des hésitations de la part du gouvernement anglais,.. elles ont été prolongées par le fait qu’on ne voulait pas s’engager sans savoir si le ministère avec lequel on s’engageait avait ou non un bail de vie. Il n’y a là rien que de parfaitement naturel, et si je m’étais trouvé dans la position du comte de Granville, je n’aurais pas hésité à atermoyer, à attendre pour savoir, avant de m’engager dans une entreprise aussi grave, à qui je devais avoir affaire… »