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de son pouvoir. L’adhésion du gouvernement anglais avait été donnée dans la forme la plus explicite ; et, s’il se réservait toute liberté sur le choix d’un mode particulier d’action, il n’en excluait pas l’examen, il l’admettait même implicitement, si une action devait être trouvée nécessaire[1]. Les troubles s’aggravaient cependant en Égypte, et l’éventualité prévue apparaissait chaque jour plus imminente, pendant que les vues des deux gouvernemens changeaient d’objet. A quelle cause faut-il attribuer cette déviation d’une politique si laborieusement concertée ?

Au moment où Gambetta prit le pouvoir, on prêtait volontiers au nouveau cabinet, le grand ministère, comme on l’appela, une longue existence ministérielle ; on le croyait en pleine possession de la confiance de la chambre et en mesure, par conséquent, de diriger en toute sécurité la politique de la France. On pensait de même à Londres, et le cabinet anglais, ne redoutant aucun changement prochain dans la conduite de nos affaires, se montra disposé à s’associer au gouvernement de la république dans l’examen des questions internationales d’un intérêt commun ou réciproque. C’est sous l’empire de cette conviction, tout porte à le présumer, que lord Granville accueillit la proposition de Gambetta, et qu’en témoignage de son bon vouloir il lui remit le soin de rédiger les instructions destinées à marquer la cordialité de leur entente et l’unité de leurs résolutions dans la question d’Égypte. Mais, peu après, on annonçait que le cabinet français proposait aux chambres de réviser la constitution, et bientôt ces bruits furent diversement appréciés. Un projet de loi fut en effet présenté le 14 janvier, et il devint évident qu’il serait l’objet d’une discussion pouvant entraîner la chute du ministère. L’attitude du gouvernement anglais s’en ressentit aussitôt, et à la fin de janvier, quand Gambetta fut renversé, il avait déjà orienté sa politique dans d’autres voies. Ce serait donc l’instabilité ministérielle en France qui aurait rompu, en ce qu’il avait d’essentiel, l’accord des deux gouvernemens, et on conçoit que le cabinet de Londres ait tenu à reprendre sa liberté d’action dès qu’il lui a été démontré qu’il aurait à poursuivre des négociations d’une nature si délicate avec des ministres nouveaux, placés, par leur avènement même, dans la dépendance d’une majorité incertaine et flottante. Cette opinion ne nous appartient pas ; nous l’empruntons à un homme d’État qui a

  1. Lord Granville l’a depuis reconnu lui-même. Dans le premier entretien qu’il eut avec notre nouvel ambassadeur, M. Tissot, « la conversation étant tombée sur les affaires d’Égypte, écrit-il à lord Lyons, je lui ai dit, dans les termes presque identiques à ceux dont je m’étais servi avec M. Challemel-Lacour, que je croyais que nos deux gouvernemens étaient tout à fait d’accord pour éviter, si c’était possible, la nécessité d’une intervention active ou d’une occupation militaire, bien que nous admissions que cette nécessité pût surgir. (Dépêche du 20 mars 1882.)