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Leurs chefs se tiennent en relations constantes pour se prêter dans ces circonstances une aide réciproque ; pour effectuer des échanges de prisonniers, d’armes et de munitions ; pour organiser des opérations contre des villages fortifiés dont la richesse tente leur convoitise ou contre les garnisons des postes de milice et les colonnes de faible effectif. Une tactique, souvent employée dans les années 1890 et 1891, consistait à faire prévenir ces dernières que des pirates se trouvaient en petit nombre, à proximité, dans le dessein de les attirer dans des positions préparées à l’avance ; des colonnes de gardes civils, entre autres l’une d’elles forte de près de deux cents hommes, tombèrent dans ce piège et furent ainsi anéanties.

L’opération à laquelle donnent lieu les entreprises effectuées par ces bandes contre les villages annamites est préparée, de longue main, avec le plus grand soin ; les pirates ne procédant jamais à l’aventure, par crainte de tomber dans quelque embuscade. Cette opération est souvent précédée, lorsque la lutte promet d’être vive, de sacrifices en l’honneur du génie de la guerre, suivis de fraternelles agapes.

L’objectif une fois déterminé, à la suite d’indications fournies par ses affiliés, la bande est fractionnée en deux parties ; l’une garde le campement, envoie quelques hommes courir le pays en quête de nouvelles et surveille les chemins par lesquels des détachemens pourraient se présenter ; l’autre se met en campagne et vient, sans bruit, en dissimulant sa présence, s’établir, à la tombée de la nuit, à proximité du village dont l’attaque est projetée ; là, elle est rejointe par les affiliés qui l’ont renseignée et qui doivent la guider dans son opération. Ces derniers, à ce moment, se couvrent quelquefois la figure d’un masque pour ne pas être reconnus par les habitans qu’ils vont livrer aux pirates.

Bientôt, la marche est reprise, lentement et avec précaution ; vers le milieu de la nuit, le village est cerné ; à un signal, une vingtaine de coups de feu sont rapidement tirés dans la direction des portes ; et, aussitôt, la bande entière, poussant de grands cris, se précipite vers l’une d’elles, en force l’entrée et pénètre dans l’intérieur du village.

Si celui-ci fait bonne garde, tout mouvement inusité qui se produit dans la campagne étant aussitôt signalé, la marche des pirates est alors éventée de loin ; les cliquetis précipités des baguettes des veilleurs, les appels stridens et multipliés des cornes et des trompes, les batteries de tam-tam annoncent l’imminence d’un danger ; à ces signaux d’alarme, qui impressionnent si vivement nos soldats dans leurs marches et dans leurs reconnaissances de nuit, dans chaque village, des hommes déterminés se portent à leurs