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temps, de bonnes voies de communication ; augmentation du nombre de canonnières dont le rôle est et peut devenir encore plus efficace dans le delta.

Placer à la tête des différentes administrations indigènes des mandarins de confiance, soumettre leurs actes à un contrôle sévère ; une fois la tranquillité rétablie, les rendre personnellement responsables du maintien de l’ordre dans leurs circonscriptions.

Exonérer d’une partie des charges, et pour le temps nécessaire, certaines régions depuis longtemps troublées, dénuées de ressources et dont les habitans ne paient l’impôt que sous la pression des baïonnettes et au prix des plus durs sacrifices[1].

Par ces mesures, on assurera aux villages une protection réelle et constante, et l’on pourra alors exiger des habitans qui, à bon droit, se tiennent aujourd’hui dans une prudente réserve, des renseignemens précis sur les mouvemens, sur les forces des pirates, sur le pays, sur les voies de communication, etc.

Dans cette œuvre de pacification, à l’opposé de ce qui se produit dans la plupart des pays musulmans, où les missionnaires, en raison de la haine que leur voue l’élément indigène fanatisé par les prédictions des marabouts, sont parfois une cause d’embarras plutôt qu’une aide pour l’administration, ceux-ci peuvent, au Tonkin, être de précieux auxiliaires, par la connaissance approfondie qu’ils ont du pays ; par leur autorité sur les habitans des villages chrétiens ; par l’influence qu’ils exercent sur la population qui, dans un large esprit de tolérance religieuse, ne voit en eux que les ministres d’un culte qui a droit à leur respect au même titre que les autres cultes, et enfin par le dévoûment avec lequel nombre d’entre eux servent les intérêts de la France.

« Que l’on en soit bien convaincu, nous disait l’un d’eux, l’Annamite est conscient du juste et de l’injuste ; c’est un grand enfant qu’il faut traiter avec douceur et qui est susceptible de reconnaissance pour ses bienfaiteurs. Quand sa sympathie et sa confiance seront gagnées à la cause française, on obtiendra avec deux cents soldats des résultats que l’on ne peut obtenir aujourd’hui avec deux mille et si, à la suite d’un événement quelconque, des armées ou de fortes bandes chinoises menaçaient le Tonkin, les Français seraient assurés d’en venir aisément à bout avec le concours du peuple annamite. »

  1. Entre autres mesures de détail propres à enrayer la piraterie locale, nous signalons la suivante : marquer d’une estampille particulière tous les buffles et tous les bœufs d’un même village. On ne verrait plus alors, comme cela se pratique chaque jour sur bien des points du Tonkin, des pirates transformés en paisibles commerçant, vendre en plein marché à des Européens ou à d’autres indigènes un troupeau qui a été pillé la veille dans un village situé à deux ou trois lieues de là.