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auxquels ces mêmes règlemens interdisent d’adapter le moindre fer de lance, l’on conçoit aisément les dangers dont les populations sont sans cesse menacées par le voisinage de l’une de ces bandes, et aussi les inquiétudes, les transes mortelles, les perpétuelles angoisses dans lesquelles l’indigène passe une partie de son existence.

En règle générale, ces petites bandes procèdent par intimidation. Un beau matin, sans qu’ils sachent comment le fait s’est produit, les gens d’un village trouvent, à leur réveil, affiché en pleine place publique, un écrit d’un chef pirate, les invitant à aller déposer, dans un délai fixé, en un lieu désigné, une somme de 400, de 500, de 1,000 francs ou des sommes plus importantes, selon la richesse présumée du village : c’est un habitant, affilié aux pirates, qui a apporté et clandestinement affiché ce message. Ou bien, c’est une bande qui, à la chute du jour, se réunit à un signal convenu, et vient s’établir dans quelque pagode, à cent ou deux cents mètres du village. Un pirate, à l’aide d’un porte-voix, hèle les habitans, et leur adresse une sommation analogue, les menaçant, en terminant, des plus épouvantables calamités s’ils n’y obtempèrent pas immédiatement.

Aussitôt, au milieu de l’émoi général, les notables s’assemblent. Si le village n’a aucun secours à attendre de nos postes, en raison de leur éloignement, si ses moyens de défense ne lui laissent aucun doute sur l’issue fatale de la lutte à laquelle il s’expose, quelques vieillards, victimes résignées, avec un dévoûment qui leur coûte quelquefois la vie, vont s’aboucher avec les pirates, pour parlementer et tenter d’obtenir quelques adoucissemens aux conditions imposées. La contribution payée, pour cette fois encore, le village est sauvé d’une mise à sac, c’est-à-dire de la ruine complète.

Si celui-ci a confiance dans sa force, si la contribution exigée est trop considérable, les habitans se préparent à la résistance. Parfois les pirates se décident alors à tenter, sur l’instant, une attaque de vive force ; et ce doit être un spectacle étrange et bien lamentable que celui de ces luttes corps à corps, rappelant les combats des guerres antiques, livrées, dans l’horreur de la nuit, par des adversaires implacables et cruels et que terminent le plus souvent l’incendie et des tueries sans merci, destinées à porter la terreur parmi les populations de la région. Du côté des assaillans, des bandits, poussés par l’appât du pillage, lancent à la main, sur les cases les plus rapprochées, des fusées incendiaires que les Annamites excellent à fabriquer pour ces sortes d’entreprises ; tirent des coups de fusil sur un point de la lisière pendant qu’un autre parti, à coups de coupes-coupes, abat une porte ou