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se montrer d’une sévérité excessive, car le crime de piraterie n’est puni de la peine capitale qu’à la deuxième récidive.

Pour l’exposé de cette étude, nous avons divisé le territoire tonkinois en trois grandes zones correspondant aux différentes modes de composition et d’organisation des bandes de pirates : 1° zone du delta central qui ne comprend que des bandes annamites ; 2° zone des régions limitrophes du delta, où opèrent des bandes mixtes composées d’Annamites et de Chinois ; 3° zone des hautes régions qui ne comprend que des bandes chinoises fixées à demeure ou bien des pirates chinois qui viennent, à des périodes déterminées, y faire des incursions.


I. — LE DELTA.

Dans le delta central, c’est-à-dire dans les provinces de Hanoï, de Hung-hen, de Baïsaï, de Hai-duong, de Mi-duc, de Nam-Dinh, de Ninh-Binh, etc., les bandes se composent, le plus habituellement, d’Annamites.

Elles se recrutent parmi les ennemis irréconciliables de notre occupation, mécontens de tout ordre, déclassés, tirailleurs ou miliciens libérés du service ou déserteurs, à qui la vie de pirate, malgré les dangers qu’elle présente, paraît cent fois préférable à l’existence de coolie corvéable et taillable à merci, qui les attend à leur retour dans leurs foyers ; et enfin parmi les mauvais sujets des villages, au nombre desquels les pirates sont toujours assurés de trouver des guides pour leurs entreprises dirigées contre les propres villages de ces derniers.

A l’exception de quelques-unes, ces bandes ne sont en général ni permanentes, ni solidement organisées ; mais elles sont très nombreuses. On n’en compte pas en effet moins de 250, grandes ou petites, dans le delta même : les unes ne possèdent que quelques fusils ; d’autres peuvent en réunir, au moment d’une opération, trente, quarante à tir rapide, et même davantage. Chacun des pirates qui composent ces bandes est en outre assisté d’autres indigènes, armés et équipés à la manière des anciens soldats de l’Annam, de lances, de massues, d’arcs, de boucliers, et spécialement affectés à l’enlèvement des morts et des blessés sur le champ de bataille et au transport du butin conquis.

Si l’on considère qu’en dehors d’un petit nombre de villages privilégiés, qui ont reçu l’autorisation de se pourvoir de quelques fusils pour leur défense, tous les autres n’ont pour toute protection que l’épaisseur des haies, qui les entourent, et, pour toute arme, que de petits couperets dont les règlemens annamites fixent les dimensions d’une manière rigoureuse, ou de longs bambous