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sans ratures, est d’un homme parfaitement maître de sa pensée et de son style. Les déclarations qu’elle renferme sont claires et précises. On s’étonnera, sans doute, qu’au moment de se tuer Balmaceda ait fait choix d’un journal étranger pour défendre sa mémoire et justifier ses actes, mais outre que dans l’effervescence actuelle des esprits aucun journal chilien n’eût osé publier ce document, Balmaceda entendait s’adresser au monde entier. L’impartialité dont le New-York Herald avait fait preuve dans l’appréciation d’événemens qui passionnaient l’Amérique entière et l’immense publicité de ce journal lui dictèrent ce choix. Dans sa lettre à don José de Urriburia, l’écriture et le style trahissent, au contraire, une extrême tension nerveuse ; on y relève des expressions incorrectes, des fautes mêmes d’orthographe ; or peu d’hommes possédaient aussi complètement leur langue que Balmaceda. On sent que cette lettre fut écrite la dernière et que l’heure suprême approchait.

Voici la note au New-York Herald : « Je meurs avec la ferme conviction que les actes de mon administration pendant les huit mois qui viennent de s’écouler sont justifiés. Je n’avais personne dans l’armée à qui me fier. Mes généraux m’ont trompé, ils m’ont menti. Si mes ordres avaient été suivis, la bataille de l’Aconcagua eût été une victoire complète.

« Pendant toute cette période de troubles, je n’ai pas failli au Chili ; je voulais l’affranchir de l’influence étrangère et en faire la première république de l’Amérique. Mes ennemis m’accusent de cruauté ; les circonstances m’ont contraint à sanctionner des actes de sévérité, mais les cruautés que l’on me reproche ont été commises sans mes ordres et à mon insu.

« Jusqu’à la bataille de Placilla, j’ai cru au succès ; mes généraux, Barboza, Alcerreza et Viel, m’en répondaient. Ils m’ont tous menti. Maintenant seulement je me rends compte qu’ils n’attendaient de moi que de l’argent et des honneurs et que l’intérêt seul les guidait.

« Je n’ai sur moi que 2,500 piastres (12,500 fr.). Ma femme me les a remises dans la nuit du 28 août.

« Votre ministre, Patrik Egan, m’a donné de bons conseils ; il me pressait de faire la paix et de quitter le Chili. Je ne l’ai pas écouté ; je le croyais sous l’influence des congressistes et mes conseillers, et mes ministres étaient tous opposés à la paix. »

Sa lettre à M. Urriburia était ainsi conçue : « Cher monsieur et ami, il me faut à tout prix sortir de la situation dans laquelle je suis. Je ne saurais la prolonger plus longtemps, ni abuser davantage de votre hospitalité ; je prie ma famille d’en garder le