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l’envoyer chercher dans la baie même de Valparaiso, un mouillage d’où elle pût, tout en se maintenant hors du tir des batteries, inquiéter le tort Callao et croiser ses feux avec ceux de son artillerie. Il emprunta à la flotte son artillerie légère, renforça ses cadres avec les compagnies de débarquement, ne laissant à bord des navires que les hommes nécessaires pour le service des grosses pièces.

Le 23 août, à la pointe du jour, la bataille commençait par un duel d’artillerie entre la flotte et les forts, auquel succédait une vigoureuse attaque de Canto contre les lignes balmacedistes. Dans Valparaiso, les affaires étaient suspendues, les magasins fermés et toute la population, groupée sur les hauteurs, suivait avec anxiété les péripéties de la lutte. Nous empruntons à une lettre particulière le tableau suivant de l’aspect qu’offrait la grande ville. « L’émotion est à son comble, les détonations de l’artillerie et de la mousqueterie, répercutées par les hauteurs qui dominent Valparaiso, grondent autour de nous. Les habitans ont déserté la ville ; une foule considérable borde la partie de la baie qui fait face à la pointe sud-ouest d’où le fort Andes, tirant à toute volée, surgit par instans d’un nuage de fumée. Les pointes Duprat et San-Antonio sont envahies par les curieux ; on en voit sur les docks flottans, sur les quais ; les plus aventureux s’entassent sur la pointe Gruesa, à un kilomètre et demi du théâtre de l’action. De là on contemple un spectacle étrange. Un épais nuage de fumée plane sur les deux armées ; les décharges d’artillerie le sillonnent de zigzags de feu. Parfois le voile se déchire, et pendant quelques instans on entrevoit des charges de régimens qui s’abordent, des pièces d’artillerie amenées et déchargées à toute vitesse, des hommes qui courent, bondissent, rampent ou tombent ; des lignes qui faiblissent ou avancent, puis, de nouveau, le voile de fumée recouvre la plaine, et l’on n’a pour se guider que le bruit du combat qui s’éloigne ou se rapproche. Plus près de nous, les convois de blessés sortent lentement du nuage de fumée et se dirigent en longues files vers la ville où les hôpitaux improvisés se multiplient. Presque toutes les femmes de Valparaiso ont offert leurs maisons et leurs services. On interroge fiévreusement les blessés, mais ils ne nous apprennent rien, et leurs récits contradictoires ne nous permettent pas de préjuger de l’issue de la lutte. »

Elle dura toute la journée du 23, plus violente et plus sanglante que la veille. Sous les assauts répétés des bataillons de Canto, les troupes balmacedistes plièrent à plusieurs reprises, mais, ramenées en arrière, elles se reformaient à l’abri du feu du fort Callao et,