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distribué naguère une bonne part des sommes empruntées à l’Europe. Le 30 juin 1879, ce prince déchu, que la nature avait pourtant doué de facultés remarquables, que la fortune avait doté d’un paisible et florissant royaume dont il aurait pu soutenir la prospérité en s’illustrant lui-même, s’embarquait à Alexandrie et partait pour l’exil, laissant derrière lui une situation semée des plus graves périls. Déjà la Porte, ne déguisant plus sa pensée, libellait le firman d’investiture de Tewfik-Pacha dans des termes qui réduisaient le rôle du nouveau vice-roi à celui d’un simple gouverneur, ne se distinguant des autres fonctionnaires du même ordre que par le privilège de l’hérédité. La France et l’Angleterre durent chaleureusement intervenir à Constantinople pour détourner le gouvernement ottoman d’une tentative qui menaçait de remettre en question tous les arrangemens antérieurs conclus avec la participation des puissances. Notre ambassadeur, M. Fournier, s’y employa avec autant d’énergie que de succès. Grâce à son habile intervention, Tewfik-Pacha fut investi de toutes les attributions qui avaient été conférées à ses prédécesseurs. « Le zèle et la fermeté que vous avez déployés, écrivait M. Waddington à notre représentant, n’ont pas peu contribué à cet heureux résultat, et je tiens à vous en remercier[1]. »


V

Le conflit qui a abouti à la déchéance d’Ismaïl-Pacha avait pris naissance dans la révision de la situation financière. Les contrôleurs, aussi bien que la commission d’enquête, avaient pensé qu’on ne pouvait y procéder avec succès sans réduire l’intérêt de la dette publique. Le prince, si peu soucieux naguère du sort de ses créanciers et de la considération de son gouvernement, avait repoussé cette mesure en prétendant qu’elle mettait l’Egypte en faillite et attentait à son crédit. En réalité, il s’en était prévalu pour secouer le joug des administrateurs que l’Europe lui avait imposés et pour justifier le coup d’État qui a déterminé la France et l’Angleterre à provoquer sa révocation. Dès le lendemain du dénoûment de cette crise, on se remit à l’œuvre avec l’entière adhésion du nouveau vice-roi et de ses conseillers. Fort de l’agrément de toutes les puissances, on reprit et on rendit exécutoire la loi de liquidation, qui a remis les finances de l’Egypte dans l’état de prospérité où nous les voyons aujourd’hui. Cependant l’ordre moral n’en restait pas moins profondément troublé depuis l’avènement de Tewfik-Pacha, et des symptômes nombreux révélaient une agitation qui était une étrange nouveauté dans un pays

  1. Dépêche du 28 août 1879.