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succédait à deux autres que le congrès avait écartés sans raisons, sans même permettre à ses membres de préciser leur programme. Le congrès, affirmait-il, empiétait sur le pouvoir exécutif, qu’il entendait mettre en tutelle. Gardien de la constitution, le président s’en était constitué le défenseur ; il la maintiendrait envers et contre tous.

Ainsi posée, la question était insoluble. Les congressistes déclaraient nuls et non avenus tous les actes et décrets du président depuis la clôture de la session extraordinaire ; ils les tenaient pour illégaux et criminels. Représentant, disaient-ils, le seul pouvoir légal et régulier du Chili, ils appelaient la population aux armes, relevaient les troupes de terre et de mer de leur serment d’obéissance au président, dont ils décrétaient la mise hors la loi. Non plus que lui, Claudio Vicuna n’avait qualité ni titre pour prendre le pouvoir ; son élection était, inconstitutionnelle dans le fond et dans la forme ; instrument de Balmaceda, imposé par lui aux suffrages des électeurs, il n’avait été choisi que pour colorer d’un semblant de légalité la plus éclatante violation des lois et les visées ambitieuses d’un despote.

Entre ces deux opinions extrêmes et passionnées, la force seule pouvait décider. En se prolongeant, la lutte prenait chaque jour un caractère plus atroce ; les haines politiques se doublaient de haines particulières. On l’avait vu, lors de la prise d’Iquique, on le voyait dans les mesures odieuses dont les partisans avoués ou supposés du congrès étaient l’objet, on devait le voir mieux encore. La terreur régnait à Santiago, où des disparitions mystérieuses jetaient l’alarme dans les familles de ceux qui comptaient des membres actifs dans l’armée congressiste. Les dénonciateurs assiégeaient les ministres et les agens de la police ; partout on signalait des complots et des conspirateurs. Sur les champs de bataille on retrouvait ce même acharnement féroce dont les troupes chiliennes avaient fait preuve dans la guerre avec le Pérou et la Bolivie. A Tarapaca, disait-on, les soldats de Balmaceda avaient reçu l’ordre de ne pas faire de prisonniers, les chefs ne pouvant ni ne voulant les garder et les nourrir dans une région dépourvue de toutes ressources, et où ils avaient grand’peine à pourvoir à la subsistance de leurs hommes. L’inclémence du sol et du climat ajoutait encore aux horreurs de la guerre civile. Dans des conditions identiques, affirmaient les balmacedistes, la junte congressiste agissait de même. On avait vu à Iquique entasser sur le transport Amazonas des blessés sans vivres et sans secours, que l’on expédiait ainsi à Caldera, et dont presque tous succombaient dans cette traversée de cinq jours.