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des droits de douane. Dans cette région populeuse, mais déshéritée, les alimens font défaut : les céréales et la viande, les légumes et l’eau potable ; on tire tout du dehors et quelques jours de blocus suffisaient pour affamer une population ouvrière plus sympathique à l’insurrection qu’au président et que les forces militaires maintenaient seules dans l’obéissance. Celles-ci y étaient nombreuses, et pour combler les vides faits par l’appel des détachemens dirigés sur Coquimbo, un décret présidentiel avait appelé 10,000 hommes sous les armes pour renforcer les garnisons du nord ; 7,000 autres étaient en outre massés à Aconcagua sous les ordres du général Barboza pour couvrir les approches de Santiago. Campées autour d’Iquique, ville ouverte du côté de la terre, les troupes s’apprêtaient à repousser les tentatives de débarquement de la flotte.

L’irritation grandissait dans la place bloquée et qui pactisait tacitement avec les assaillans. Inquiet de l’attitude de la population qui s’armait, non pour repousser l’attaque, mais pour s’y joindre, le colonel Soto, qui commandait les troupes de Balmaceda, résolut d’occuper la ville. Il rencontra une résistance dont il aurait eu facilement raison, n’eût été l’intervention de la flotte ennemie. Aux premiers coups de fusil échangés entre les habitans d’Iquique et l’armée, le Blanco Encalada, le Magallanes, l’Esmeralda et l’Abtao ouvrirent le feu de leurs batteries suriquique, qu’ils écrasèrent sous une pluie de bombes, lançant sur la plage leurs compagnies de débarquement. Vainement le colonel Soto rallia ses hommes et fit tête à l’attaque. Défait sur le champ de bataille de Pozo Almonte, il dut battre en retraite, laissant 1,200 cadavres et un important matériel de guerre dans Iquique en ruines.

Dès le lendemain, le 27 février, les congressistes attaquaient Tarapaca, située à l’est d’Iquique et fortement occupée par les troupes de Balmaceda, renforcées par les débris de la garnison d’Iquique. Ici, la lutte prit un caractère d’acharnement indicible, rappelant les scènes tragiques des batailles de Chorillos et de Miraflores lors de la guerre avec le Férou : « Les soldats de Balmaceda, écrit un témoin oculaire, se sont battus comme des démons et leurs adversaires ne se sont pas montrés moins féroces. On luttait corps à corps, sans un cri, sans autre bruit sourd que celui de la chute des cadavres. Les blessés réfugiés dans les églises ou les cimetières étaient égorgés. Puis éclata le bombardement, suivi de l’incendie. Rien ne ralentit le carnage ; femmes, enfans, vieillards tombaient sous les coups des combattans sourds à toutes les supplications. On m’a dit, pour m’expliquer cette lutte implacable, qu’elle se compliquait de haines personnelles et que bon nombre de vieilles vendettas ont été à jamais réglées dans la