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notre liberté d’action. Quelque regret que nous en éprouvions, nous acceptons la situation qui nous est faite. »


XI

Ainsi se brisèrent les liens d’une fructueuse coopération qui avait uni les deux gouvernemens pendant une longue période et dont les résultats avaient été précieux pour eux comme pour le pays où elle s’était exercée. L’Angleterre y a mis fin au mépris de dispositions synallagmatiques et en dépit de la vive opposition de la France. Elle avait assumé, seule, les charges, nous ne pourrions dire les périls, d’une intervention armée, elle voulut s’en réserver exclusivement les bénéfices ; et, à l’heure présente, elle s’y emploie encore avec une infatigable activité. Elle a entrepris, dans cet esprit, ce qu’on a appelé la réorganisation de l’Egypte, avec le concours plus obligatoire que spontané du khédive et de ses ministres. La tâche, avec les moyens dont on disposait, n’était pas ardue à l’origine ; elle ne rencontrait aucun obstacle qu’il ne fût aisé de vaincre. Cependant elle se compliqua bientôt d’embarras inattendus. Les troubles dont l’Egypte avait été le théâtre en avaient provoqué au Soudan de plus redoutables et de plus difficiles à réprimer. Des fanatiques, les derviches, en avaient soulevé les populations et avaient entrepris d’en expulser les troupes et les représentans du gouvernement égyptien. Leur chef, le mahdi, obtint, dans le cours de l’année 1883, des succès alarmans. Un homme énergique et dévoué, Gordon, désigné par le gouvernement anglais et muni des pleins pouvoirs du vice-roi, consentit à se rendre à Karthoum pour y diriger la défense de Sennar. On lui avait promis des renforts ; il fallut les organiser. On s’était engagé d’autre part, pour désintéresser les grandes puissances, à indemniser les incendiés d’Alexandrie, dont les pertes avaient été évaluées à plus de cent millions de francs. Pour faire face à ces dépenses imprévues, on ne pouvait disposer que des ressources ordinaires que la révolte et la guerre avaient sensiblement réduites. On se trouva ainsi en présence d’une situation financière fort embarrassée. On songea, pour y pourvoir, à réviser la loi de liquidation. Mais cette loi était la garantie de la caisse de la dette publique, confiée aux mains d’une commission composée des représentans de toutes les puissances intéressées. Si, pour supprimer le contrôle, il avait suffi d’éliminer la France, pour toucher à la commission de la dette il fallait braver l’Europe entière ou se concerter avec elle. On s’arrêta au projet de provoquer une entente commune, espérant en obtenir soit une réduction du taux de la dette, soit la faculté de contracter un emprunt.

A cet effet, le principal secrétaire d’état adressa aux puissances,